Classement et imaginaire

Publié le par Jaz

Bouquet

Bouquet d'automne

Quelle feuille choisir?


Un rayon de soleil perce à travers la grisaille. Le temps s'est gâté, les feuilles tombent et m'offrent, au moment de rentrer chez moi, une jonchée de couleurs répandue sous l'arbre dont je déteste les fleurs. C'est le meilleur moment de l'automne. Je ne résiste pas, brave l'interdit de monter sur l'herbe et récolte ma moisson. J'imagine en montant ce que je vais proposer à mes patients: choisir celle qu'ils préfèrent et justifier leur choix!

 

Je sais d'avance que  cela risque d'être difficile et m'attends à les aider en recherchant ce qui  caractérise ces feuilles   , sur la base de leur différenciation.

Couleur, forme, dimension sont donc au rendez-vous, mais il y a, par chance deux feuilles qui présentent une anomalie de forme, l'une symétrique, comme un huit du fait d'un rétrécissement, elle est étrange et peut séduire, c'est ce qui se passera pour Jimminy (CE2).

L'autre a probablement été dévorée en partie (en premier plan) et cette hypothèse rencontrée alors qu'il vérifie "la plus petite", le fait disjoncter, il devient totalement absent, perdu dans ses pensées.


Et pourtant... il avait bien commencé... 'Pourquoi as-tu choisi celle-là?' "Parce qu'elle ressemble à une flamme". 'Et quoi encore?' "Elle est jaune et verte, et grosse, et elle a un petit bouton" Il retrouve tous les critères de classification que nous avions travaillés avec les éléments en bois de forme couleur, dimension (taille et hauteur) et les classe ainsi en tas, voire en sériation etc. Il nous (sa mère et moi) montre alors une aspérité à la jonction de la tige. Nous émettons des hypothèses, d'où cela peut-il venir? Un départ de croissance? "Elle ressemble à un huit". "Elle a des petits (crans? pointes?)..." et nous vérifions si les bords ne sont pas lisses d'un côté comme pour d'autres qu'un animal acommencé à dévorer. Nous sommes plongés dans une grande discussion lorsque je lui demande:

'Et celle que tu aimes le moins', silence, 'pas du tout?' "elle", 'pourquoi?' "parce qu'elle a des taches de partout, des trous..." Il semble partir ailleurs. Je le relance en questionnant 'et celle-là?' "Elle est trop douce...". J'ai vraiment tout fait, sans en être tout à fait consciente, pour déclencher une rêverie!

 

Pour le ramener à l'ici et maintenant, je fais une remarque sur ses dons d'observation et lui propose de les appliquer à un dossier que j'ai photocopié pour travailler le temps à partir de l'expérience d'un enfant avant de passer à la frise du temps etc.... Après avoir lu (non sans peine pour la reformuler) la première consigne, il commence à décrire les images qui présentent différents moments de la vie d'un écolier. Une fois la fiche amorcée il la finira avec sa mère le Week-end qui le renverra également à la recherche d'indices dans les scènes évoquées.

 

Max (6e) ne peut pas utiliser le stabilo pour comprendre les textes (méthodes de travail) car les documents sont sur des livres. Il s'est rappelé difficilement avoir travaillé avec TV neurones sur les "tiroirs" "il y avait un thème... des mots qui descendaient à ranger". Il est ainsi pré-paré à un travail plus cognitif qu'à mettre en route l'imaginaire qui ouvre à l'expression d'un ressenti...


 Je lui propose le bouquet. Quelle est ta préférée? Il en choisit une au hasard (s'en débarasser?). Il regarde encore et change d'avis (commence à observer?) "Y en a, i sont pareilles, enfin presque". "Oh! il y en a une, elle est abimée."

Laquelle préfères-tu? "Celle-là parce qu'elle a presque tout le temps la même couleur".

 

Si tu inventais l'histoire de sa couleur (je pense l'amener à me parler du cycle de l'arbre), il va alors en découvrir encore une autre "celle-là, multicolore". "Elle a été croisée avec plusieurs saisons".

 

Je n'insiste pas et retourne à notre travail sur la lecture, et à l'approche des mots, par l'histoire de la révolte des mots dans "La grammaire est une chanson douce" d'Orsenna. Ce sera l'objet d'un autre article. Nous reprenons TV neurone dans un jeu de catégorisation avec un effet stroop pour les couleurs...

 

Quelle va être l'approche de Laure (CM1) lorsque, après le W-E, je lui propose un autre bouquet?

Elle en choisit une. Pourquoi ce choix? "Elle a de belles couleurs. Elle est belle". Celle que tu aimes le moins? "Elle n'a pas de couleurs, elle est moche".

Je lui demande alors, comme j'avais fait avec Jimminy, de les classer. Ne voulant pas induire une catégorisation, je l'explicite ainsi: "Comment les mettre ensemble par rapport à quelque chose?"

 

Elle les série d'elle-même dans le registre de la couleur en partant du rouge, en les décrivant, "là ça commence à être jaune, là un peu vert".

Elle propose également "du plus grand au plus petit" et inversement "pour les taches". Celle qui n'est pas classée dans la suite est la préférée. Quels critères a-t-elle pris en compte? "la couleur" "les taches" "la grosseur des taches".

 

Je reprends ensuite avec elle les mots qu'elle doit apprendre chaque jour (5) pour l'école et a déjà récité. Je lui en fais écrire certains des listes précédentes, elle s'en tient toujours aux références phonologiques qui avaient été si difficiles à monter et je n'arrive pas encore à la faire entrer dans le registre du sens. Graphies complexes, évocation de familles de mots sont toujours un gros problème...

 

 

Comment ces trois enfants ont-ils réagi à une même tâche de choix? Quelle a été la place de l'ouverture à l'imaginaire? Le support n'a manifestement pas fait rêver tout le monde! Ils ont répondu en mettant en avant leur capacité à s'adapter à une consigne inhabituelle.

C'est en fait le support du "travail" demandé qui représente un travail dans l'imaginaire car il sort du champ des supports associés au "travail" et ouvre à une expérience reproductible pour eux dans d'autres circonstances.


Observer, mettre en mot des critères de différenciation, d'un ressenti par un jugement esthétique (Laure) ou en évoquant une autre forme (qui semble fasciner Jimminy). Max s'en tient à trouver une raison "scientifique" à la variation....

Dans la manipulation des feuilles du bouquet, chacun rend compte  de son mode d'entrée dans le "cognitif", de l'analogie à la catégorisation, sans oublier la sériation.

 

 



Publié dans Famille

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C
<br /> Passionnant cette offre de sortir des habituels objets d'intérêt en recourant à des feuilles en relation avec le dehors, les couleurs, les formes les saisons , les espèces, la mort...La vie....Les<br /> cycles...J'aurai aimé me servir de cette proposition pour moi même. Cela me donne une idée pour mon stage d'art-thérapie avec trois adultes s'il reste des feuilles dans la cour de la<br /> villa....Création en partant de feuilles de la natures en couleur non vertes....Tout est là pour faire sauter la normose....<br /> <br /> <br />
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