Travail de mémoire et mémoire du travail

Publié le par Jaz

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Se libérer: de "tenter" puis "sentir" pour "savoir" (23e dessin)

 

 Le titre de cet article reprend d'une autre façon la question que je me posais il y a bien longtemps: oublier pour retenir.  

 

  L'exemple qui l'illustrait concernait Noémie et le parcours de  récits qu'elle avait produits au cours d'une longue prise en charge. Je m'étais permis de conserver et d'analyser certains de ses récits produits sur ordinateur alors que leur enregistrement sur le disque dur aurait pu être effacé : la thématique du roman familial évoquait un secret de famille qui n'aurait pu se dévoiler ailleurs.

 

Il est question dans cet article-ci d'un tout autre parcours, car il s'agit pour cet autre enfant de tracer des chemins dans la mémoire. C'est le parcours de Max au début de sa prise en charge, en CM1, qui lui permet maintenant d'en arriver à ce moment clé de son autonomisation. Ce parcours a été jalonné de dessins qui, on le sait par de nombreux articles ici-même, permettent à l'enfant d'exprimer ce qu'il ressent, avant même d'être à même de le faire avec les mots attendus. Les modalités d'expression en réalisant des dessins ou avec des mots ne sont pas du même ordre.


Le dessin ci-dessus est celui d'une personne enchaînée, illustrant le mot "chaînes", apparu dans le 6e dessin d'une série remplissant deux classeurs que nous venons de parcourir en ce début d'année scolaire, lui et moi, avec le recul d'un an de travail. Max a été très heureux de regarder tous ces dessins avec moi, se souvenant de les avoir faits, relisant attentivement le scénario de la "dispute" de la maîtresse dans une sorte de BD, vérifiant les mots que nous avions "travaillés" en les faisant "éclater", s'attardant sur les pages où il évoquait son chien mort de vieillesse, le commentant: "maintenant c'est différent", curieux de voir ce j'avais écrit sur des étiquettes sur chaque porte-vue et... Max a pu mesurer ainsi intuitivement le chemin parcouru. 

Il en éprouvait même du plaisir, souriant...

tout comme Juju, enfant IMC de 5;6, avait jubilé de se voir sur la cassette du montage des séances que nous avions filmées, depuis ses 3 ans 6, heureux de s'y reconnaître, quels que soient les changements opérés.

et a même été d'accord pour que ses dessins soient analysés dans un article publié sur le site SOS ("Graphisme: il y a quelqu'un?"). 

  

Certes, on a déjà discuté, ici même, à propos d'un commentaire de l'article "le jeu parti de rien", une séance avec lui précisément, le problème éthique que soulève le fait de publier un travail qui appartient au sujet en propre, même s'il a donné son autorisation de le rapporter et s'il a un pseudonyme. Dans mon expérience, l'enfant, confronté à cette "relecture", car d'un autre point de vue, de ce qui a permis alors une élaboration psychique, confirme par ses propos et son comportement certaines hypothèses de l'analyse (cf. Laure dans "Diagnostic "dys" et prise en charge").

Ainsi -l'effet miroir "décalé"- s'est-il révélé un support très stimulant pour Max, lorsque je me suis risquée à le "publier", réactualisant ainsi le travail que les dessins avaient alors suscité, pour aller plus loin en tournant une page. 

 

Nous avions commencé, l'année du CM2 de Max, à tenter d' "apprendre autrement qu'on enseigne" en empruntant un texte et un tableau à une méthode pour "aider les élèves à gérer leur processus d'apprentissage" ... Il n'arrivait pas à comprendre le texte et n'en avait manifestement rien retenu à la rentrée suivante:  

s'il n'était pas prêt en CM2,

 

l'est-il maintenant davantage en 6e?

Notre contrat ne lui impose plus d'apporter quelque chose, mais il doit s'efforcer de se rappeler ce que nous avons fait la séance précédente... Il faut tout reconstruire à l'envers avec le soutien de questions... Il n'arrive plus à se tenir droit, tripote ce qu'il peut trouver, l'élastique sur son classeur, il va sûrement falloir reprendre le travail de posture, même s'il me montre comme il écrit bien maintenant au collège, avec la bonne tenue du stylo! 

 

Il me dit avoir compris la première page du texte que je lui avais demandé de relire et nous sommes tombés d'accord pour reconnaitre que le travail que nous avions fait en feuilletant la série de ses dessins l'avait amené là où en était l'enfant dans la première page d'une histoire en plusieurs temps. L'extrait ci-dessous, renvoie directement à l'évaluation de la situation de Max (soulignée en gras) quand nous avions abordé ce texte en cours de CM2:

 

"Certaines choses changeaient. On disait de lui qu'il était plus calme, qu'il ne faisait plus mal aux autres, qu'il était beaucoup plus gentil. Mais... quand il regardait les autres enfants qui, eux, avaient un âge, qu'il les entendait parler de leurs succès obtenus dans la grande maison... il se sentait triste parce que lui ne parvenait pas à connaître le succès. Il ne savait pas comment faire pour réussir". ((Pierre-Paul Gagné) 

 

 Il avait tout oublié de la seconde page mais a fini par se rappeler, lorsque j'ai fait allusion à son illustration, qu'elle concernait les outils qu'il faut se donner pour "réussir". Cependant...  il ne trouvait jamais le temps de la relire.

 

Lire implique de se rappeler des règles mais aussi de rechercher le sens:


mémoire procédurale, mémoire épisodique doivent pouvoir se combiner pour identifier, voire construire le sens d'un texte. Qu'en est-il pour Max? 

 

Nous passons donc à lire cette deuxième page à haute voix et réactualisons les principes de segmentation, l'intonation etc. sur les deux premières phrases.

Il a buté de deux façons sur les phrases suivantes, le lendemain, quand nous avons repris le texte. S'il a bien retrouvé la segmentation pour ce qui avait été déjà lu, il n'a pu transférer sur la suite les règles de segmentation que nous avions même écrites, et a bloqué en outre sur le sens figuré de "un sage".


Suspendant la lecture, nous entreprenons alors une recherche de sens sur la base de l'adjectif, qu'il définit comme "obéissant". Je lui signale la présence de l'article qui le nomminalise, je finis par lui indiquer le sens que nous vérifions dans le dictionnaire, autre recherche laborieuse, mais ce sens y figure bien.


Il me glisse alors en rangeant ses affaires "je lis les mots" comme en aparté pour justifier de ses difficultés, analyse qu'il a complètement oubliée le lendemain,

de même que, la semaine précédente, il avait complètement oublié le laborieux travail de reconstitution par lequel nous avions du passer pour retrouver le  fait qu'au premier cours de Français ils avaient recherché les abréviations du dictionnaire! Il avait tout oublié et nous avions du tout reconstruire, comme pour le scénario en BD de la dispute qu'il avait relu si attentivement dans le premier classeur de ses dessins.

 

Le temps des grandes vacances n'avait pas remis le compteur à zéro mais il a fallu cependant revoir le cadre, voir avec sa mère pour avancer l'heure du repas du soir afin qu'il puisse dormir 1/2 heure de plus, par exemple.

 

Cette difficulté à se rappeler est-elle en lien avec un problème de mise en mot inhabituelle ou plutôt en lien avec la situation de dépendance à sa mère, la forme de passivité qu'elle entraîne? Ce peut être l'une et l'autre hypothèse. Il a donc été nécessaire qu'il se reprenne en main, lui qui commençait à se sentir "exister" comme sujet!
 

"Ah oui oui!" est la marque de la réactulisation du souvenir perdu... lorsque le travail fait réapparaître ce souvenir à partir d'un mot, comme on a fait pour le dictionnaire qui va servir de support à une première approche de l'analyse de ses difficultés d'évocation.

 

 

Analyse


Il s'agit bien d'un chemin, un travail d'évocation "méta" en quelque sorte

 

Max avait oublié ce qu'il avait fait en Français.  "Ah oui! oui! Le dictionnaire". De propositions en propositions: chercher un mot, "non", silence. "ah oui!, chercher vt". Qu'est-ce que ça peut être "vt"? ça ne veut rien dire! "Ah oui, nm". Je comprends qu'il s'agit des abréviations figurant dans une des premières page, et j'introduis le carnet qu'il retrouve dans son cartable, à la recherche des tableaux (p.4 des annexes du poster) qui peuvent nous aider à retrouver leur signification (nom masculin, verbe transitif).

 

Le porte-vues était ouvert pour présenter en bas la structure canonique de la phrase, au dessus le groupe nominal.

- Tu te rappelles comment s'appelle le mot qui est dans le rectangle? je retourne en arrière, au tableau qui a présenté le nom avec ses illustrations figurant personne, animal, chose, un garçon, une fille...  et il retrouve "masculin" et poursuit "ah oui! oui!  Nom Masculin".

 

Comme travail d'une fois à l'autre, l'année précédente, je lui avais demandé de recopier pour son carnet, les tableaux construits ensembles en séance, et il avait trouvé le moyen de mettre NOM au lieu du trait bleu qui devait le figurer avec un point ou un s pour la terminaison singulier pluriel. Dès que j'ai voulu le faire "travailler" dessus pour retrouver l'opposition verbo-nominale, j'ai du effacer le mot "nom" qu'il avait écrit dans le rectangle, rétablir le trait bleu en repartant sur le premier tableau illustré pour l'ancrer dans autre chose qu'un mot tout fait, sorte de "faux"-concept (cf. "faux-self") car le mot fait alors illusion sur l'intégration de sa signification, l'enfant s'en tenant à une réponse automatique (souvent au hasard), et n'inclut même pas les éléments d'un pseudo-concept (Vygotski) qui participe à l'élaboration du concept...

 

- ...puis nous étions repartis sur "le verbe". La question inductrice de sa recherche (cf. Borel) "il s'agit de quoi faire" nous avait réorientés vers les formes verbales, car "faire" induit le "nom" du verbe (donc la forme infinitive mais nous ne la nommons pas comme telle, préférant le terme 'nom du verbe' qui sert ainsi à le désigner) et nous avions recherché ensuite le type de construction de ces verbes par des exemples de phrases que je lui avais demandé d'énoncer à partir d'une question... travail de l'ordre de celui qui est présenté dans l'article de "que faire", à propos des jetons.


  Retour aux méthodes de travail

être "prêt" à...

 

J'abandonne provisoirement mon travail technique sur la lecture de la deuxième page du document, nous en étions restés, pour moi, à "je lis les mots", ce qui n'implique en rien l'accès au sens, et je décide de reprendre l'ancrage corporel nécessaire pour rendre la lecture courante et compréhensive.

 

Nous passons au divan pour tenter de mettre en place une respiration abdominale sans blocage car, bien sûr, il ne peut reproduire le geste qu'on lui montre et ne peut non plus le réaliser avec une consigne verbale sans que j'aie à tout décomposer... J'essaie de l'encourager à s'y exercer en s'endormant, sans beaucoup d'illusions.

 

En effet, il me semble vain de ne pas repasser par le corps pour arriver à lire, même si parallèlement nous reprenons son carnet, retrouvons la notion de système tableau qu'il n'avait pas mis à sa place  car le "groupe" et son noyau ne sont pas encore évidents pour lui, comme l'avait montré le parcours nécessaire pour retrouver le travail qu'il avait fait à propos du dictionnaire.

 

Que s'est-il passé ensuite?

 

S'il n'arrive pas encore à se tenir droit, à ne pas triturer quelque chose, il commence à se rappeler ce qu'on fait de séance en séance. Cette récapitulation se révèle indispensable pourqu'il devienne acteur du travail d'apprentissage.

 

Il a bien compris qu'il lui fallait "se rappeler", mais nous devons le reconstituer pas à pas à partir d'un noyau, je lui donne des pistes, et de ah oui! en ah oui!, il retrouve ce qu'il a fait. L'étape suivante est alors de savoir pourquoi on l'a fait par rapport à notre projet: s'autonomiser dans son travail, mais aussi dans sa pensée pour que les stratégies d'évocation mobilisées par mon propre étayage deviennent disponibles par leur intériorisation en un dialogue intérieur et l'accès en représentation des supports figurés.

 

Nous reprenons notre lecture avec l'objectif de comprendre comment ce qu'il lit rejoint des connaissances antérieures d'ordre métalinguistique. La segmentation reste difficile bien que je lui demande de "lire pour me dire" un groupe de mots significatifs à chaque fois. Il n'a pas suffisament d'anticipation dans l'approche du groupe de mots ni de fluidité dans son expression.

 

Des situations imprévues vont me rappeler ce qu'on propose habituellement aux plus jeunes, avant même de commencer la rééducation, des prérequis en quelque sorte. Il s'agit pour Max, de le mettre sur la piste de ce qu'il perçoit des mouvements nécessaires à l'écriture ou des différences impliquées par l'utilisation de la voix pour lire.


  Quelques séances plus tard: "l'ouverture" du Bouquet d'automne va permettre de passer à autre chose

 

Une journée de travail autour des "gauchers" m'incite ensuite à explorer ce qu'il en est pour lui alors que nous n'avons jamais "travaillé" le graphisme à proprement parler, et à encourager l'ouverture à l'imaginaire de la séance précédente, en l'amenant à prendre conscience de ses mouvements et gestes mobilisés dans notre travail autour de la lecture et de l'écriture.


Ce qui avait été abordé en tant qu'ancrage corporel a ainsi été longuement repris pour l'aider sur plusieurs plans

- à s'ouvrir

debout dans un long couloir recouvert de papier, il tient un gros crayon gras dans chaque main et partant d'en bas au centre, il laisse une trace en restant au centre jusqu'à ouvrir son geste en deux demi-cercles qui descendent de chaque côté, plus en détente que contrôlé. Le mouvement en sens inverse lui fait prendre conscience du repliement sur soi.

- à découvrir le plaisir de l'exercice dans n'importe quel sens

les mouvements s'effectuent ensuite toujours des deux mains sur le mur, en laissant une trace graphique de G à D et l'inverse, des boucles, des festons etc...,

- à se tonifier

ils l'aident ainsi à se tonifier en prenant de l'assurance dans la maîtrise d'un geste en grand et vertical, dans un déplacement de tout le corps

- à s'analyser

je lui demande ensuite d'essayer de sentir ce qui se passe, à la recherche de la main qui mène ou entraîne l'autre, le sens qu'il préfère, s'il perçoit l'oeil qu'il pense commander le déplacement etc.

 

Une panne d'ascenceur va entraîner une autre approche tout aussi indispensable.

 

Il est essouflé. Nous reprenons la respiration sur le divan, puis debout! Je m'aperçois la fois suivante qu'il ne sait pas placer sa voix à la hauteur que je lui propose, il ne fait pas de flûte à l'école et n'a aucune notion de solfège. Nous travaillons alors sur entendre les hauteurs et les reproduire (une tierce sur Audiolog où il faut désigner la bonne entre plusieurs séquences)...

 

Ce qui semble naturel, respirer, chanter, entraînerait, pour ces enfants, la nécessité d'une prise de conscience de tous les gestes non efficaces, que ce soit dans le registre du souffle (respiration abdominale, synchronisation), de la voix (hauteur, intensité, durée, voire timbre) et donc des perceptions de ce qui vient de l'extérieur comme de ce qu'on ressent soi-même en le réalisant. Nous sommes bien dans une sorte de métacognition...

 

 

 

 

 

  

  

Publié dans évocation "mémoire"

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J
Je rencontre hier sa mère par hasard. Max est en 4e et c'est assez catastrophique. Il va toujours chez l'ostéopathe (une nouvelle a succédé à celle du premier travail).<br /> Il a repris une prise en charge mais en psycho-motricité et cette intervenante l'oriente vers une "psy". En effet, son père a fait 2 AVC, ce qui a pu réactualiser tout son fonctionnement antérieur<br /> lorsqu'il craignait la disparition de sa mère, du temps de notre travail autour de la "séparation".<br /> Il était fragile lorsque nous avons arrêté, et n'a pas réussi à maintenir l'investissement nécessaire aux apprentissages scolaires du collège.<br /> Le 1er juin 2013
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