En avant la musique...
Tout comme le langage, la musique se retrouve un peu partout dans le monde et dans les modalités d'apprentissage du langage humain.
Pourquoi "dans le monde"? Nous baignons dans un univers sonorisé, mêmes les sourds ne perçoivent-ils pas des vibrations, dans d'autres fréquences, et ce bain sonore est le terrain qui favorisera notre apprentissage du langage de la musique.
L'environnement sonore ne relève pas seulement de "notre" création musicale d'humains, comme on nous l'impose dans certains ascenceurs ou les super-marchés, et les bruits d'un environnement mécanisé.
Il y a également la toile sonore du chant des oiseaux, du bruissement du vent, du glissement de l'eau, de l'explosion des cascades, dans la nature, et tout ce qui relève des aspects sonores du langage, du bercement de la parole et de ses effets de contrastes dans sa variation même, au rire du bébé aussi bien qu'à l'explosion de la colère, contenue (tension) ou non (violence).
La voix porte et exprime nos émotions tout autant que l'ouverture à l'autre lorsqu'on la ne la laisse pas se poser, comme Youcef l'a illustré dans l'article précédent dans sa parole même.
Il s'agissait pour lui du rapport au langage, de sa lecture des signes symboliques que sont les signes linguistiques. Jean-Michel achoppe, lui, sur la lecture de notes link et pourtant il sait lire...
Il y aurait un "module" cérébral spécifique pour la musique. De même que le site SOS illustre des exemples de difficultés d'apprentissage et le parcours pour les dépasser, dans les meilleurs cas, en faisant avec, il propose des articles sur les difficultés d'apprentissage dans le champ de la musique, du côté de la voix link comme du côté de la lecture link , en lien avec ce qu'on pourrait penser être une dyslexie compensée. Pourquoi ce lien? Il me semble que c'est ce que présuppose l'activité même de lire qui est impliqué.
Comment apprend-on? Quelques indications à ce sujet.
D'un point de vue cognitif, les recherches sur l'apprentissage utilisent la musique link pour construire des expériences et mettent l'accent sur ce qui n'est pas implicite pour en préciser les paramètres en vue d'expliciter les processus en jeu. Ces recherches ne tiennent pas compte de ceux qui n'arrivent pas à apprendre de la façon dont on transmet les savoirs.
Du point de vue de l'apprentissage dans un contexte scolaire, lorsqu'il s'agit de retenir une poésie, ou même l'alphabet, beaucoup d'enfants dyslexiques s'appuient sur la "chanson" apprise ou qu'ils inventent: "un et un deux, deux et deux font quatre..." imposent rythme et mélodie dans la parole même du maître, Prévert, illustré par les Frères Jacques.
La mélodie serait ainsi, dans ces exemples, un élément porteur de la mémoire en mettant en jeu un processus de globalisation qui relierait le "travail" des hémisphères (le gauche, analyse et permettrait de "retenir" ce qui est présenté dans le champ de l'explicite, mémoire des mots en quelque sorte; le droit, situerait l'acquisition dans le champ de l'implicite, porté par ce qui relèverait de l'intuition) d'un point de vue neuro-psychologique.
La mélodie permettrait de fixer des éléments d'un système symbolique instable, pour un dyslexique, celui des signes linguistiques et de leurs combinaisons.
(Extrait de l'article sur l'apprentissage)
..."Des recherches actuelles sur la part d’implicite dans l’apprentissage soulignent que l’auditeur non musicien a des connaissances implicites sur le système musical tonal, et ce qui n’est pas spécifié mais évident, dans notre culture. Cette hypothèse s’appuie sur le fait que ces connaissances sont acquises par simple exposition à des pièces musicales obéissant aux règles définies par ce système. Elle ne prend pas en compte le fait que certains pourraient ne pas avoir accès au « système »... Il leur faudrait alors passer par la conscience de son existence - voire de son fonctionnement.
Cet apprentissage explicite correspond à celui de l’enseignement de la musique alors que l’apprentissage implicite jouerait comme terrain, comme le bain de langage pour l’acquisition de la langue maternelle, propre à inscrire une forme de structuration qui, selon la théorie de l’apprentissage évoquée ci-dessus, faciliterait un apprentissage ultérieur."...Que faire quand la mélodie n'intègre pas intonation et rythme? C'est un cas très particulier de dyslexie link qui soulignerait la globalité du fonctionnement implicite dans un apprentissage d'oreille, comme c'est le cas pour Jean-Michel qui n'arrive toujours pas à "lire" les notes, en les nommant. Il les voit mais s'embrouille sans cesse, tout comme les enfants en début d'apprentissage de l'écrit.
Ce "quadra" est bien "non expert", n'ayant jamais appris le solfège (apprentissage explicite donc) avant de participer à un choeur, alors qu'il était chanteur dans une chorale, enfant. Il continue à apprendre d'oreille.
Comment explique-t-on cette incapacité de nommer les notes sur une portée, dans l'article pré-cité sur l'apprentissage de la musique? Il faut non seulement, comme pour une lettre, identifier la note mais le lien entre le signe graphique qui la représente, et, de plus, le son qui lui donne une valeur concrète est plus complexe que celui de la lettre avec son "son".
Nommer une note sur une portée met en jeu un système visuo-spatial, dans la verticalité qu'impose la portée pour définir l'identité même de la note. C'est une autre sorte d'orientation que celle qui permet la différenciation des lettres sur un plan visuel (p/b/d/q etc.) car le repère ne peut plus être un avant et un après l'axe de la lettre, mais implique la séquentialité dans la situation sur la portée même.
(Suite d'extraits de l'article "musique et apprentissage")
..."La dépendance contextuelle de la note interagit alors dans la perception de son identité et sa réalisation à sa place dans la séquence.
Leur connaissance peut rester implicite... mais interférer avec d’autres niveaux lorsqu’il y a des variations qui sortent de l’horizon d’attente..."
C'est là que les modalités d'entrées perceptives peuvent susciter des conflits...
"ce serait poser le problème du choix nécessaire entre un mode de fonctionnement et un autre qui se pose sans cesse à bien des dyslexiques, pris entre une approche intuitive (il a les mots en tête, que ce soit pour les répéter ou pour les écrire) mais, et c’est le problème de difficultés d’évocation dans ce dysfonctionnement, ils n’arrivent plus à en organiser les éléments dans leur restitution et produisent autre chose."
Les différents chemins que nous avons tenté de suivre avec Jean-Michel semblent vérifier l'hypothèse de la nécessité d'apporter une compensation à des difficultés d'analyse des données visuelles, ce qu'on peut qualifier de perception visuelle, et de traitement des données impliquées par cette acquisition d'un "savoir" en introduisant des médiations "corporelles". Il s'agit d'ancrer dans le corps un repère déconnecté de l'apprentissage répétitif qui n'inscrit rien de stable en mémoire.
LE PARCOURS PREALABLE (Résumé des articles)
Avant d'introduire la main comme médiateur de cet apprentissage "impossible", tout un parcours avait posé quelques préalables indispensables à l'utilisation de cet outil.
Nous avons du vérifier l'automatisation de la récitation de la suite des notes, à l'endroit, à l'envers, en la poursuivant jusqu'au la du haut (Jean-Michel est ténor) d'une part, et leur correspondance en voix chantée d'autre part. Il était en effet fier de la connaître, et de la justesse de sa voix.
- Les difficultés surgissaient en mémoire de travail, lorsqu'il fallait inverser l'énoncé en quelque sorte, ce qui implique un nouvel apprentissage à automatiser.
- Comme les enfants qui ne peuvent reprendre une "série" (cf. les lettres de l'alphabet ou les nombres) en cours de route, il s'agissait de lui permettre de trouver des repères pour repartir dans des séries partielles, plus courtes, pour faciliter l'autonomisations des unités de cette liste. Nous avons ainsi travaillé la lecture de 4 ou 5 notes de ses exercices de solfège, du do au fa. Il fallait se limiter à une brève séquence, en cachant la suite, car il se perdait ensuite...
- Nous avons analysé ces unités que sont les notes dans leur contexte,
en les situant par rapport à la portée sur/entre les lignes, et sous la portée, les notes qui ont leur propre ligne
et dans la notation d'une séquence, en comparant les mouvements de montée et de descente de la suite pour la dissocier du mouvement lecture qui le faisait revenir en arrière quand il y avait un changement, dans une sorte de syncinésie de mouvement entre l'auditif et le visuel.
- Il fallait également donner un "sens" à ces notes, en les chantant avant de retourner à la lecture de leur nom seulement. C'était une tentative de s'appuyer sur le savoir implicite qu'il avait de leur valeur sonore, et de le connecter avec le savoir explicite que nous essayions d'installer. Nous avons monté la gamme avec le support du piano, (synthé ou mini piano) pour essayer de connecter son et représentation spatiale, mais vite renoncé car la correspondance entre le support et la voix impose le redressement du support pour garder l'analogie de "monter".
- Nous étions passés par un travail sur un petit livre de chansons enfantines, avec "au clair de la lune"link (et dessin ci-dessus), "j'ai du bon tabac" etc. qui propose une lecture de chiffres figurant la série de notes, les associant aux notes dont le nom était écrit également, et aux paroles d'un air déjà connu. Nous y avions fait figurer les lignes (papier coollé) pour faciliter le transfert ultérieur. Mais c'était lui demander de coordonner plusieurs types de lecture, tâche complexe pour lui comme pour les dyslexiques (cf. Miloud link ) et les cours de solfège imposaient un retour aux notes seulement.
COMMENT LA MAIN PEUT-ELLE AIDER A L'APPRENTISSAGE ?
Dans la médiation proposée, la portée est en quelque sorte "portée" par la main gauche, face à soi, et les notes sont placées avec l'index droit, chaque doigt figurant la ligne. Quelle sécurité! Il n'y a plus qu'à construire un automatisme, de référence cette fois, les doigts devenant des repères stables quand tout se mélange.
- Se positionner
Dessinée avant les vacances, elle n'a pu suffire car nous avions entrepris d'y loger toutes les notes qu'il voulait apprendre à reconnaître. En outre, gaucher, il a d'abord voulu utiliser la main droite et indiquer par un geste de la gauche. Cela a provoqué un conflit de lecture dans le cadre de la séquentialité (le sens de la lecture est de gauche à droite et ce qu'il voyait de la position de sa main l'orientait de la droite vers la gauche). Il l'a réalisé par lui-même et s'est réorienté, ce qui mobilise une nouvelle connection interhémisphérique.
- A quoi sert-elle?
A la rentrée, il renonce à l'inscription au solfège, et nous reprenons au tout début son livre. Premier exercice, Mi sol si ré fa. Une nouvelle "liste". C'est parfait, ce sera le nom de chacun des doigts et nous commençons le travail, à l'endroit, à l'envers, de bas en haut et de haut en bas, l'index droit touchant les doigts à chaque prononciation de la note correspondante. Il ne peut encore le lire et le dire sur la partition sans avoir recours aux doigts, et pour les doigts, en est encore à nommer la note intermédiaire (silencieusement).
L'apprentissage de cette nouvelle liste correspond bien à la progression du manuel, mais il doit passer par un support qui, non seulement différencie les lignes de la portée (différence de taille), mais les associe à quelque chose de différencié par sa fonction et son nom dans l'expérience propre du sujet.
- Mode d'emploi
Lire mais aussi l'écrire ensuite sur une portée vierge.
Il pose alors la clé de sol, il les réussit très bien, comme un dessin car il ne peut y voir le repère du "sol" bien qu'il sache où le situer dans le dessin depuis plus d'un an! et monte les notes de cette nouvelle série. Il n'en assure que trois en lecture et part retrouver dans sa main le nouveau point de départ pour poursuivre. La descente est encore très fragile, soulignant l'importance du travail qui reste à faire.
- La connection visuel-auditif
La prochaîne fois nous le reprendrons en chantant pour connecter cet apprentissage à son savoir implicite. Nous le contextualiserons en "travaillant" la partition du requiem de Mozart à son programme du choeur en espérant qu'il commencera à s'y repérer...
Dans cette aide de la main, chaque doigt est devenu ainsi porteur d'un nom qui facilite l'appréhension visuelle de la ligne sur laquelle figure la note dans le transfert sur la portée, mais il a fallu individualiser le "si" en l'associant au majeur (=ligne du milieu), le plus grand car c'est une sorte d'axe de symétrie, au centre de la série, qui ne peut encore servir de repère, n'existant pas encore "en soi".
La question du rythme au sein de la mélodie sera reprise dans un autre article. Abordée avec Jean-Michel sur un plan théorique, alors qu'il n'est pas gêné pour chanter, l'autre informatrice de ces articles, dyslexique; se bat toujours avec en pratique malgré son savoir théorique. A suivre donc...