Trisomie et culture musicale

Publié le par Jaz

pluie-de-notes.jpg  Source de créativité?

Le titre peut sembler ambitieux par le sujet qu'il aborde. Qu'entend-on alors par culture? En quoi la trisomie modifierait-elle leur imprégnation culturelle?


Artus m'a apporté son éclairage personnel à l'âge de jeune adulte. Il baignait dans la musique classique depuis son jeune âge, mais il a su trouver ce qui l'émouvait dans la musique contemporaine, parmi les groupes qui fascinent de nombreux jeunes, il a une passion pour "Tokyo hotel", groupe de "Rock Crypto-Gothique post Grunge".

Cet article sera centré sur Yann, qui à la différence d'Artus se présentait comme autiste à 9 ans. Comorbidité peut-être? Mais le fait est que, si pour Artus la musique de notre époque a pu ainsi être le support thématique d'échanges dans le cadre de nos séances où il s'agissait d'arriver à s'exprimer verbalement sur, non seulement ses goûts mais ce qu'on peut ressentir, pour Yann, il s'agissait de la suite logique de la mise en place de sa voix, premiers spectacles dont nous (sa mère et moi) étions les spectatrices admiratives inconditionnelles de ses impro que j'accompagnais de ma propre voix pour l'aider à moduler la sienne. (Voir l'article qui présente le départ de son acquisition du langage sur le site d'où est issu l'extrait ci-dessous).

Ymusique_copie.jpg<< Il a exploré la musique de la voix d’abord avec un mini piano/synthé auquel j’ai cherché à associer ma voix.
Nous avons ainsi partagé le plaisir de la voix qui se donne à l’autre, dans un travail dont il contrôlait la hauteur, acceptant peu à peu de faire bouger la sienne pour s’y accorder...

Puis il a accepté de répéter à voix haute des mots , dans le support d’un étayage physique (mains dans les mains pour le guider [5]), en les syllabant (deux et parfois trois syllabes), mais une seule fois ! Il s’en contentait et filait ailleurs. Si c’était sa façon de gérer ses capacités, cela ne pouvait permettre un apprentissage. Il n’était pas prêt.
-  La base du rythme est là au niveau psycho-moteur (cf. le tambourin) mais n'intervient pas encore dans son langage (comme Juju, il escamote les syllabes quand il tente de parler). Le travail n'est pas terminé car le rythme intègre les sons dans le temps. Sans lui la régularité n’existerait pas. La récurrence des cycles en témoigne.

La musique a alors rempli d’autres fonctions,

-  dans la relation à l’autre lorsqu’il jouait dans un rituel de "spectacle", face à nous les premières fois [6].
-  mais également en donnant "un lieu de rencontre", pour permettre une régulation, lorsqu’il s’installait dans sa stéréotypie de balancement, en lui permettant de "revenir dans notre monde" en quelque sorte.

 En effet, c’est en allant le chercher avec ma voix lors d’improvisations sur le mini piano qui l’accompagnait souvent lorsque se déclenchait sa stéréotypie, que j’arrivais à réduire l’intensité de ce mouvement, en jouant sur la violence qu’exprimaient nos voix (intensité) jusqu’à pouvoir lui dire ultérieurement "stop" lorsque le mouvement s’intensifiait trop.>>


guitare Ce jour-là, il est arrivé harnaché avec la guitare de sa soeur sur le dos, dans son étui.

Il n'était pas peu fier! Sa mère contextualise: il regarde "nouvelles stars". Il a le projet de s'y présenter. Il s'installe sur le tabouret, face à nous et commence à chanter en gratouillant les cordes,

beaucoup de mes jeunes patients l'ont fait avec la guitare fabrication maison qui se trouve dans les "jouets musicaux" toujours disponibles.

C'est totalement incompréhensible pour moi qui ne regarde guère ces émissions et ne connait pas grand chose de tous ces nouveaux chants... Nous chanterons en coeur, à ma demande, "Frère Jacques", il escamote toujours de nombreuses paroles...

Sa mère me précise ce jour là que, à son groupe de théatre, il a acquis une certaine expérience de la scène. ("Taper du poing" seul segment que j'ai compris à peu près d'une chanson bretonne du genre "rapp", où l'on s'affirme "il faut pas se laisser faire", de temps en temps "savoir se faire respecter"). C'est aussi le temps et le lieu d'un groupe de parole des mères pendant les répétitions... me dit-elle à la séance suivante, pendant que Yann nous montre comme il est fort sur le vélo d'apartement sur lequel il s'est réfugié.

Nous parlons de sa grand-mère, qui après le décès du grand-père va venir habiter chez eux. Il s'était précipité sur le tableau des pokemons et ne veut pas qu'on le retourne. Je l'exige, il va se réfugier sur le vélo.

Fatigué, il va attraper le piano/synthé de ses débuts et commencer à s'essayer à chanter depuis son perchoir. Il s'en tient à la première note, la plus basse (sol3). Et module, chantant comme il peut dans sa tessiture grave de voix parlée.

"J'suis pas Titi, j'suis un adulte. I chante comme une casserole". Les mots sont esquissés. Sa mère comprend.

Comment intervenir sans transformer ce moment d'expression spontanée en exercice technique de répétition pour qu'on le comprenne, ce qu'il refuse plus que jamais?

J'essaie de l'accompagner de ma voix à sa hauteur de temps à autre, de le faire ensuite dans ma tessiture, histoire d'ouvrir à un changement. Au bout d'un moment il passe à la note d'à côté, le la, et se met à parler dessus "je veux y aller!"... Il parle de nouvelle star bien sûr. Nous lui précisons: il faut travailler la musique, le chant...

Il se met  à jouer sur plusieurs notes, bouge sa voix et accroche celle du piano de temps en temps. Il s'agit d'un medlay(?), mélange de chansons: "marseille", "sonnez les matines", sa voix grimpe jusqu'à hauteur des sons, sa mère a reconnu "casser la voix" "allumer le feu" et nous l'accompagnons de bon coeur.

Cependant, bien sûr, sa stéréotypie, le balancement du haut du corps est réapparu. Je lui rappelle que, maintenant, il est devenu capable de ne bouger que le pied, comme les artistes.

C'est alors qu'il se met à "jouer" de ce petit clavier (où il manque deux notes (fa/sol4) qu'il avait réussi à casser dans le temps), une modulation de son cru, très belle... et du "beau" que j'ai exprimé

il passe à "beau sapin", reprenant ses sources culturelles...

DISCUSSION

La discussion est renvoyée à l'article suivant car s'il n'est pas revenu avec la guitare, nous avons travaillé à "voir" sa voix sur Vocalab...

Publié dans Handicap

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