Question de confiance ?

Publié le par Jaz

la-boussole-10464De quelle confiance s'agit-il?

 

 

Si Miloud revient, après près d'un mois d'absence, avec en tête les questions des dernières séances de l'année, car il ne suffit pas d'avoir les clefs en main pour réussir à écrire, il reste d'abord mobilisé par la question de son avenir!

De quoi a-t-il envie? S'engager, devenir père de famille, comme un de ses copains qui commence seulement à réaliser ce que c'est, alors qu'il a femme et travail, alors que pour lui, Miloud, il n'y aura pas de commission avant septembre pour retrouver son ancien boulot correspondant à ses qualifications! L'intérim est trop aléatoire...

Il ne parle pas de son dernier séjour avant la séance suivante car c'est la guerre froide avec sa mère: il échappe à son contrôle en vivant "sa" vie. Il "garde la tête sur les épaules" en restant calme et nous revenons sur le monde "décalé" du DL et ses valeurs, la conscience qu'il a de l'hypocrisie de ceux qu'il a rencontrés dans ce monde de là-bas, la religion qui 'aide à trouver cet équilibre' qu'il recherche. Mais il a aussi, de mon point de vue 'les pieds d'un monde à l'autre'. Je lui rappelle son souci "d'être", alors qu'ils ne sont que dans le "paraître", qui est leur façon d'être, en précisant dans un raccourci: 'ne pas projeter ton énergie par rapport aux autres mais projeter sur l'avenir'. Son inquiétude: "sans me perdre, sans se diluer". Un déplacement en quelque sorte, ce qu'il s'efforce, maintenant, de faire sans cesse, dans les jeux de l'ordinateur.

 

Quelques extraits de nos échanges autour de ces différents thèmes illustrent bien cette épreuve de réalité que constitue ce qu'il rencontre sur son chemin de vie en ce début d'année. Il l'avait figuré dans un dessin à son retour d'un précédent voyage où il s'était posé les questions existentielles: "Qui je suis? Où je vais?". Il passe maintenant par l'analyse que permet le langage pour tenter de trouver des réponses.

 

"Mon copain va avoir un enfant, le 2e et... le temps passe... je vieillis -faut pas vous vexer- à une vitesse...!

Ça m'ennuie un peu parce que ça me met face à la réalité..." J'approuve 'c'est bien ce que tu viens chercher ici, un lieu... Tu grandis!'. Et je lui propose de relire la carte "tout contrôler" qu'il regardait justement, posée verticalement sur un clip depuis son départ, il y a un mois. Il avait mis l'entraîneur en route.  Mais il attend quelque chose.

Je l'interroge sur le fait qu'il ne m'ait pas contacté (changé de portable) et qu'il ne soit pas revenu tout de suite de son dernier séjour. De fait, c'était pour mettre en route un travail... puisqu'il doit attendre septembre pour repasser en commission pour son ancien travail. Cela impliquera de réactualiser le CV, la demande au Procureur de la République pour son casier, ce qu'il fera avec l'éducateur qui a son dossier, mais nous ne pourrons y travailler ensembles et cela lui fera rater nos rendez-vous ou les raccourcir... L'intérim, c'est pour 10 mois en principe. Encore une contradiction que je ne souligne pas. 

Il revient sur la question de sa relation, s'engager: "avoir un enfant c'est trop de responsabilité. Quand j'ai vu mon copain il y a deux jours, il a peur" Je commente: 'il réalise après coup ce que c'est...'

Miloud poursuit son analyse "... ce qui me craque (fait craquer, il y avait eu une carte sur ce thème) un peu:

parce que je ne peux (?) pas écrire, est-ce que je peux assumer un enfant? Je n'ai pas assez d'armes... peu de fusils d'assaut..."

Je l'interromps 'armes?' Je reformule ce que j'ai compris: 'ça c'est un manque de confiance en soi'. Je le précise dans le cadre de notre dialogue et de sa fonction thérapeutique: 'tu me poses une question, tu as la réponse en dessous .Tu le sens? Il faut que ce soit moi qui la pose pour que la réponse sorte, ou bien c'est dans la question que je pose que tu trouves la réponse.'

"Quand je dis la peur de mal faire, d'être pas assez bien armé"...

Miloud retourne aux jeux d'ordinateur. S'il ne voit pas les figures, cela arrive, il commence à pouvoir abandonner une première configuration pour reprendre dans d'autres combinaisons. Toujours la flexibilité. Pour les mots coupés, ils servent de support à un travail sur les racines pour le sens et les dérivations dans le cadre d'une famille de mots, du nom (connu) au verbe ou à l'adjectif, la morphologie verbale, et principalement, le fait de déplacer des syllabes d'un mot à un autre lorsqu'il y a plusieurs possibilités, nouveauté au niveau 2 car il n'y en a qu'une pour réussir.

Notre programme comprendra désormais lire pour écrire, phrase par phrase, si Miloud peut être suffisamment régulier, sans trop de problèmes à régler.

 

Mais 3 jours plus tard, il est épuisé: il doit décharger sans cesse son trop plein d'énergie. "Quelle vie de de m...". Sa mère, emprise dans le "là-bas", "ma présence crée des problèmes" dit-il car il lui tient tête pour gérer "ici", jusqu'à sa soeur qui a des soucis d'orthographe et panique pour son propre projet d'avenir. Elle est pourtant la plus autonome. Nous reprenons le plan de travail. Il compte reprendre le livre de "lâcher prise". Je préfèrerais un livre où il s'implique moins, mais même dans les livres d'enfants, il cherchait... Il se bat. Je le compare à Don Quichotte qu'il ne connaissait pas: ne pas se battre contre des chimères.

Nous travaillons la lecture qui n'est toujours pas courante: il ne peut dépasser 10 à 15 minutes quand il s'y essaie:

Nous repartons de la fiche du s (refaite quelques mois plus tôt). Nous la reprenons en dictée après l'avoir lue phrase par phrase: le fameux -lire pour écrire-. Mode d'emploi. Il entoure les mots qui risquent de lui poser problème. Il se trompe encore et encore sur le e et le é. Il reconnait avoir "photographié les mots sans les entendre", donc sans le sens, d'où les erreurs. Nous repassons par la lecture verticale des mots qu'il a repérés car il saute encore des lettres comme le i, le r.  A propos des mouvements parasites il comprend enfin ce que je lui demande: "il faut que ça vienne de là-haut et que ça sorte directement" et fait le point à sa façon:

 

"J'ai trouvé comment donner du sens, mais pas comment l'enregistrer".

 

Notre travail se poursuit, avec le guide des cartes que le hasard met sur son chemin: chômer sans stresser. Il y trouve des indications pour lui-même même quand il ne se sent pas concerné dans une première approche. Elles s'inscrivent en temps et heure par rapport à notre travail pour qu'il ait des mots pour s'exprimer et sorte de cet enfermement où il se sentait...

 

Il accepte d'apprendre le tableau des voyelles chez lui avec son carnet. Il ne les retrouve pas toutes quand je lui demande de les écrire et m'explique qu'il les regarde pourtant des yeux, souvent, et pense le savoir. Il se demande pourquoi cela ne marche pas. Je lui propose à nouveau, à sa demande explicite donc,

  •  
    • - mon approche des circuits "mémoire" d'une part: je recense tous ce qui intervient dans la perception: yeux, oreilles, sentiments (en tant qu'impact des sensations, autrement dit, la sphère psycho-affective...) + le mouvement, les formes en découlent. Il faut se rappeler de ce qu'on voit,le temps de trouver une forme qui a déjà été vue et qu'on reconnait alors. Nous le préciserons ultérieurement.
  •  
    • - et ce qui concrètement peut poser problème dans l'intégration de la correspondance grapho-phonémique, d'autre part... Il est perturbé par ce qui n'est pas fixe dans les mots et je lui donne quelques réponses aux points qu'il soulève.
  • 'Il y a deux lettres magiques pour changer les sons (je pense aux consonnes c et g),  le u renforce, le e adoucit. Nous faisons l'inventaire de ce qui le gêne: le o ouvre le eu e-oe/ oeu. L'accent permet d'ouvrir le son du é (en tant qu'archiphonème). Le i permet de changer une voyelle qui n'est pas /e/, comme si le i remplaçait l'accent: ai ei.'Nous cherchons des exemples de _e+consonne en finale qui fait é mais qui s'ouvre quand elle se prononce, e++2 consonnes de même. Il ne trouve que belle en disant "ça ne vient pas".
  •  
    • L'évocation est donc en question. Méthode de recherche: choisir un thème, partie du corps il propose "tête" et poursuit, "c'est facile pour vous". Je tape sur la fesse pour le lui faire trouver. Nous poursuivons l'analyse, bonbon, une exception pour la règle du om. Oreille lui permet de retrouver le ill.  

Le travail se poursuit avec cette image qu'il apporte, qui actualise le saut dans l'imaginaire et figure le désir:

"mon esprit vagabonde, c'est comme si je lançais les bras en avant pour attraper"...

Miloud témoigne de sa concentration focalisée maintenant sur ce qu'il veut enregistrer. Quant à la méthode "je ne l'ai toujours pas trouvée, malgré le temps". 

Son entrainement personnel (plus qu'intermittent): "j'ai pu lire 20' hier à 25 complètement décroché, ce sont les mouvements avec la bouche qui me fatiguent."

Je lui rappelle qu'il est censé 'lire des yeux', et lui demande 'quel geste?'. Il le sait bien "mettre la main devant la bouche".

Il s'encourage: "maintenant faut aller au combat".

Je reprends, 'il faut se remettre à ce qu'on faisait, comme tu ne retenais pas les mots, te centrer sur la méthode' et je refais pour lui un tableau sur la mémoire en développant une première colonne, celle des perceptions pour lui montrer, en l'écrivant et le localisant sur la feuille, ce qui se passe:

'construire au lieu de deviner'.

J'explique ce qu'est une perception: une première forme d'organisation: 'tu as des sensations, mais tu les a déjà eues, vues le plus souvent, il s'agit de les retrouver. Certains sons c'est d'emblée, d'autres tu les reconstruis en les retrouvant par rapport à ceux-là. Pour les mots c'est pareil. Pour toi un "sapin" a une forme figurée, le même mot écrit, lui, est une coquille vide, il y a un tas de représentations du sapin, un tas d'images qui peuvent te venir et parfois, leur sens arrive comme dans un saut qui donne le sens du mot sapin  et qui restera son sens quel que soit la forme qui pourrait te venir à l'esprit quand tu le vois écrit. Ce sens (concept) intègre tous ceux auxquels tu peux penser'.

Construire est un des maîtres mots pour ceux qui sont dyslexiques et ne peuvent compter sur une structuration non consciente, alors qu'elle est nécessaire à la mémoire à long terme, qui permet de fixer ce qui est perçu, les formes qui révèlent le sens.

Il dit alors:

"J'ai peur de me lancer".

Je rétorque 'il te faut accepter de te tromper pour pouvoir progresser. Honte? parce que les autres vont le voir? Les autres ont leur vie...'

 

Confiance en soi, confiance malgré la malchance qui semble le poursuivre. Les clefs qu'il détient sont dans cette énergie de lutteur, ne pas craquer, qui en veut malgré tout. Motivation et émotions, ce qui pousse à agir, mais comment gérer celles qui étaient "enfouies" avec l'oubli de son passé et qu'il a localisées dans son dessin réalisé à partir du texte "le puits". Les mots sont là maintenant pour l'évoquer sans figuration et avancer.  La flèche hérissée d'amorces illustre cette pulsion. De lire à écrire, il a trouvé lui-même, au pays de ses racines, les questions fondamentales pour lui : qui est-il? où va-t-il? rapportées à l'occasion de son avant dernier voyage.

 

D'autres cartes vont jalonner les séances suivantes et nos discussions l'éclairer car il fait les déplacements nécessaires pour y retrouver ses propres expériences: "objets inanimés", "cela ne m'a rien fait" mais il avait sauté une phrase à cause du mot frustration qu'il ne connaissait pas. Ce n'était pas nouveau pour lui, en d'autres termes. Pour "tabac, gérer la rechute" il précise "Ca débloque un petit quelque chose" bien qu'il ne fume pas.  Je me risque à lui parler d'une expérience personnelle pour arrêter le tabac, en vacances et il tire alors "Décrochez en vacances". Je lui propose alors une représentation du temps que j'imagine, là où j'en suis de ma propre recherche, qui sera présentée dans le prochain article sur Miloud, avec la carte "En retard".


Comme thérapeute j'espère qu'il va lâcher un jour tout ce qu'il retrouve dans ce travail sur lui-même pour "écrire" enfin, tout comme il a réussi à lire. Confiance, être et paraître, laisser une trace de soi dans l'écriture, s'engager donc, il "veut" certes mais "n'a pu fixer" ni les mots qu'il déchiffre encore souvent, ni le travail technique, en particulier le support visuel proposé pour intégrer le système de la langue... malgré ses essais, il n'apprend toujours pas, faute de retenir, et peut-être de s'exercer suffisamment. La vie ne lui en laisse guère le loisir.

Publié dans Dyslexie

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