Epeler les mots: émotion et cognition
Miloud, 26 ans, non-lecteur, serait-il en train d'entrer pour de bon dans l'écrire? Nous sommes entrés dans l'épellation.
Qu'est-ce qui pouvait bien bloquer toute forme de représentation qui puisse servir à soutenir cette activité cognitivo-motrice?
Comme toujours, il en donne la clé:
Miloud est revenu après plus d'un mois d'absence.
Inévitable retour sur les derniers articles parus ici même initiés par Miloud: au coeur de la résistance, suivis d'un travail sur la logique, étape nécessaire avant de revenir à la base de la correspondance phonético/graphique.. comme nous l'avions fait déjà à la rentrée de l'année précédente en repassant par les cartons quand il avait tenté de l'apprendre sans parvenir à l'assimiler. Il essaie de retrouver les voyelles sans retrouver les différentes façons de faire les sons /oe/ au-delà du 'eu' et /o/ au-delà du 'au'. Nous reconstituons ainsi, après une longue interruption, la base ci-dessous qu'il arrive tant bien que mal à retrouver.
Où en est-il avec écrire?
Il identifie e u ai r sans réfléchir mais écrit cerisse.
Il retrouve jeune, statue ( je rappelle féminin), cuisine.
Il retrouve seul le t final de salut (parce que salutation) mot (moto j'ajoute motif)
il écrit galimace pour gallimacée, confondant e/é.
je lui redonne la règle du renforcement du eu pour peuplier avec retour à la terminaison des verbes en er et repartons dans le tableau des voyelles exposé dans le lien initial de l'article et ce qu'il en reste cf. ci-dessus.
Les consonnes doublées sont alors l t r, il n'a pas repéré le s .malgré le travail autour de cerise qui ne s'est donc pas généralisé. On cherche le mot benne pour n, steppe pour p, il ne cherche pas encore automatiquement masculin/féminin (un/une).
Une parenthèse dans la construction de ce savoir écrire
La séance suivante, il fait des démarches pour un travail, il veut s'entraîner à lire puis à remplir une fiche qui comporte l'évocation de verbes d'action. Je l'initie à la règle du participe présent/gérondif et de sa graphie en + ant. Il a du plaisir à le découvrir.
Modalités de lecture et compréhension
Le lendemain nous reprenons la question de la lecture car il sent qu'il "avance" . Nous différencions
- reconnaître (qui encourage surfer)
- lire (qui induit déchiffrer)
Il n'a pas encore le contrôle pour ne pas surfer. Et quand il se met en mode déchiffrage il ne reconnait plus ce qu'il connait! Il a cepdendant tout lu le texte proposé et m'interroge,
- "qu'est-ce que je dois retenir?"
Je le renvoie à lui-même: 'essaie de retrouver... et je l'aide de questions: l'organisation de quoi?' Il suit son idée...
- "j'ai tout lu, tout retenu."
- 'ce qui t'a le plus marqué?'
- "y a toujours de la place?"
Répéter ce n'est pas dire ce qu'on a compris. Il a réussi à lire des mots qu'il ne connaissait pas. Je lui fais essayer de regrouper les mots qui vont ensemble quand on lit: il respecte les points, mais pas les virgules.
Je reviens sur comment organiser en général et les mots entre eux en faisant le lien avec la tour de Hanoï (Max et Claire logique, maintenant sur TV Neurones) qui lui a permis de franchir des étapes, sur le plan anticipation, sans qu'il y ait transfert de ce savoir faire sur les lettres, toujours lettres et non unités distinctives permettant l'accès aux unités significatives qu'elles deviennent en se regroupant. Nous reprenons alors la liste de toutes les localisations possibles des pauses qui renvoient à ce regroupement.
Il veut écrire, je lui conseille: 'dicte toi à toi'. Ce qui donne:
"Je voudrai une (bonne, sauté) finition." Il en est encore à la syllabe.
La logique en question...
'Tu ne mets pas spontanément en oeuvre cette logique qui n'est pas la tienne: une autre façon de raisonner'
Je le compare au foot à la façon dont chacun a sa place et son rôle pour la réussite finale et conclus, 'cela s'appelle hiérarchisation'.
Retour au "comment" écrire ce qu'on entend et/ou prononce?
Saura-t-il encore?
après l'avoir travaillé, car la mémoire ne tient pas, même avec ce travail alors que cela en aide plus d'un
2 syllabes de 3 lettres à reconstituer, . Ce n'est pas suffisant pour mettre en place l'épellation systématique car il n'est pas encore assez sûr au niveau syllabique, mais il essaie de se souvenir des mots. A suivre...
Perception: Voir / entendre
"j'ai du mal à voir les choses comme elles sont"... "il faut du temps". Ce qu'il dit de son travail sur lui dans sa relation au monde familial ou du travail s'applique aux lettres qui l'introsuisent dans le monde de l'écriture. Le temps nécessaire confirme une approche de DL qui doit tout analyser pour retenir ce qui signifie. Ce temps est inscrit une période d'éveil nécessaire aux non-lecteurs pour s'ouvrir à l'écrit.
Sa reformulation: "il faut du recul" introduit la distance à la langue d'une "position" métalinguistique.
La capacité à mettre en lien une forme écrite avec sa signification lorsqu'il lit n'est toujours pas disponible car il n'arrive pas encore à se servir de plusieurs entrées perceptives en les combinant et fait partie de ceux qui ne peuvent en choisir une pour l'approfondir et s'appuyer dessus pour leur apprentissage.
Les démarches décrites ci-dessus confirment que quand il "lit" il "voit", mais en surfant, bien que nous ayons déjà essayé de l'entraîner très souvent à le faire autrement, pour pouvoir l'écrire ensuite, il n'arrive pas à l'écrire correctement, incapable de l'épeler à voix haute ou mentalement de mémoire, faute de se fier à une image auditive, trop incertaine pour étayer la correspondance avec les lettres... S'il entend un mot il ne le voit pas écrit a-t-il di, juste avant de réussir à épeler!. Voir, analyser, entendre, l'outil d'écriture reste la lettre, qui reste "lettre morte". Il avait même dit, bien avant:"J'ai trouvé comment donner du sens, mais pas comment l'enregistrer". Car au delà des lettres il y a les mots et il ne les retient pas, mémoire, administrateur central ne fonctionnent pas, ne s' nt pas quand il s'entraine...
Émotions: le plaisir apparait avec le jeu (en arrière fond le "je")
Cependant est apparu le plaisir de découvrir une règle à l'occasion d'une démarche pour son travail.
Il a "joué" à trouver les lettres du mot qu'il épelle ainsi sans dire mais en montrant la lettre support du son - à sa place - dans une suite construite avec ses trouvailles, car il n'aurait pu regarder le tableau ainsi constitué sans en a-voir "peur".
Peur de quoi (nous revoilà au point de départ de son gribouillis): "la peur qui mélange" avait-il dit. Cette mise en ordre a pris des années car tout en lui était également "désaccordé",
- non au niveau du "tonus" comme Vinci (Note 6)qui s'était effondré, pantin désarticulé, en tas, au moment de connecter les deux lettres d'une syllabe,
- comme un tas de lettres, ce que je mets souvent en scène concrètement pour commencer à travailler à les organiser cf. Mars
mais dans les contradictions qu'il ressentait face à l'apprentissage de l'écrit. Il avait cru apprendre à l'école les lettres pour lire mais elles restaient des corps étrangers qui ne pouvient lui servir.
Ses premières réussites sont à rattacher à deux mots qu'il a proposé lui-même, au coeur de ses difficultés: honte et crayon. il lui fallait trouver un chemin par lui-même, qui passait par se trouver lui-même, dans une quête perpétuelle. Comment la stopper? Les cartes l'aident à mieux analyser la réalité qui l'entoure car il a réalisé
- qu'il la voit comme il la voit, (il l'entrapercevrait comme derrière un voile?), mais il réalise que ce n'est pas cela qu'il devrait voir
- qu'il place peut-être la barre trop haute pour protéger l'image qu'il donne de lui-même en voulant réussir sans lever le voile, en cachant son handicap, même à celle qui pourrait devenir sa femme.
Cela semble être, de mon point de vue, le noeud du problème, la peur d'être dévoilé en quelque sorte!