Miloud: question de logique...

Publié le par Jaz

L'article précédent annonçait un retour sur les difficultés de Miloud à s'approprier une parole écrite et la logique à travers la langue au cours de ce mois de juillet.

De quelle logique s'agit-il?

Je ne peux m'empêcher d'évoquer ce que je présentais en 2002 comme documents issus de ma pratique dans un poster, car Miloud me rappelle les difficultés de Lucas qui s'étaient manifestées dès l'acquisition d'une expression orale. En quête de diagnostic j'avais évoqué une dysphasie, mais Lucas était totalement dyslexique de surcroit avec une logique qui ramenait tout à l'angoisse de perte de l'objet. Pour mémoire voici un extrait d'un raisonnement qu'il avait tenu  à partir d'une phrase rapportée concernant sa mère avec l'illustration de toutes les difficultés à orthographier qu'il rencontrait et le raisonnement qui l'avait amené à "simplifier".

À QUOI SERT LA LANGUE ?

Les enjeux d’un “raisonnement”.
Quand écrire l’hypothèse déconstruit l’énoncé
Extrait de corpus “Lucas”(9;2) Dys-phasique/lexique
( Corpus de thèse Zwobada Rosel et 1996)
Le dialogue
Au cours d’un dialogue avec l’orthophoniste Lucas doit donner une information qu’il a oubliée. Il explique :
«maman va me chercher...elle me dira et j’te dirai».
Puis tout d’un coup il propose
« si elle viendrait pas me chercher».
Lucas émet donc l’hypothèse que sa mère pourrait ne pas {venir le chercher}.
L’écrire
Il fait plusieurs tentatives où il perd l’énoncé de base, essaie de corriger quelques fautes...
« si elle ne choit pas » « si elle ne cherche »
et corrige la “faute”« ne » en le remplaçant par « me » qu’il reformule en dialogue intérieur dans un retour à son système personnel de dysphasique:
“on cherche” . (on = lui+mère).
Il écrit en dessous
« si elle me cherché pas ».
Après un travail de simplification (ci-dessous) il poursuit :
« je alle » « j’ai » pour j’irai, repris « viré » puis « atantre » (aidé par –attendre- une idée = un mot) « a leglise ».
Analyse
Invité à écrire l’énoncé, confronté à ses difficultés, il propose différents changements.
Sur quoi vont-ils porter ?
Si elle me cherche pas elle veudra (viendra ?) pas hein !” (ton un peu angoissé)
Il a déconstruit le syntagme {venir chercher}.
Il cherche à changer sa phrase : « ... Ah !!! ça pourrait, à la place de mettre “si
on l’enlève, on met, à la place de “elle” on met “on”, on retire le “elle” et je mets “cherche
et après on retire le “pas” et on met un autre mot
ça va être quoi (= toi ?) ((chuchote))  “quelque chose”, ah j’are (je vais) déjà écrire ça. ((silence)). Ca fait beaucoup plus court hein ! »
Le trop plein de sens des mots liés au risque de « manque » de la mère lui font annuler l’hypothèse comme la négation, outils de base d’un raisonnement logique,
mais la suppression de “elle” (dans le "on”) libère le “je” de l’expression d’un sujet dans sa parole.

Miloud n'en est pas encore à simplifier son oral pour l'écrire. Il n'est pas non plus dans la parole rapportée. Ce travail que nous faisons autour de son incapacité à retenir des mots et à fortiori des phrases sans les transformer de façon relativement aléatoire (ce qui n'était pas le cas chez Lucas qui avait appris à parler sur des bases phonologiques et à lire en lien avec cette structure laborieusement acquise) passe donc par des logiciels d'entraînement à l'écrit sur lesquels nous allons revenir en rapportant ses difficultés et sa façon de réagir sur quelques séances pour nous centrer ensuite sur des supports "papier" que je faisais presque systématiquement pour aborder la logique avec tous ceux qui avaient des bases de lecture suffisantes pour en être à ce stade (un cahier Nathan "Situations problèmes CE1").
Découvrir les fonctionnels dans la phrase
Nous nous appuyons sur le travail fait avec "sensonaime" (Gerip) le mois précédent: la mise en place, au niveau du mot (il n'en est pas encore aux phrases) de toutes les variations d'écriture quand on entend le mot, en rappelant les catégories grammaticales, les dérivations pour la terminaison, notamment le féminin pour les adjectifs et surtout à partir du mot "fou" la mise en place de toutes les paires minimales qu'on peut évoquer...
Nous retournons à "créa langage" (Créasoft) et, avec son accord, passons aux phrases avec -paralexies sur mots "fonction"-, qui passe en revue toutes les erreurs de lecture qu'il fait lui-même encore en lisant...
Il a tout oublié du travail sur la lecture de l'année précédente qui devenait presque courante, faute d'entraînement, et doit relire pour comprendre ce qu'il déchiffre en inventant les mots sans comprendre, puis à la Xème reprise sans avoir nécessairement enregistré certains mots comme "loutre". Il aurait peut-être fallu partir sur ses associations personnelles sur ce mot car le chercher dans le dictionnaire pour vérifier ce que je lui disais n'a pas suffi... Il lui a fallu 4 séances pour le retrouver sans avoir à le reconstruire. Je n'ai jamais rien vu de pareil.
Nous resterons sur ce même exercice pendant 6 séances (dont 5 très rapprochées) jusqu'à ce qu'il trouve lui-même qu'il ne suffit pas de savoir ce qu'il faudrait faire mais réalise qu'il lui faut le faire (article précédent). Il ne peut opérer de substitution paradigmatique n'utilisant mots ou syntagmes fonctionnels que dans des figements. Il a tout oublié de l'article contracté, de la morphologie du verbe aller, du jeu des questions qui ouvrent à l'analyse du groupe verbal... Il est toujours incapable de reformuler, substituer... Il se rend compte de l'intérêt de ces quelques phrases:
"Elles me font faire de la gymnastique: un coup c'est ça et pas"
Je précise: 'il faut rectifier les erreurs de ton cerveau (automatismes faussés) par le sens. Prends le temps et ça marche.'
"ça me demande un contrôle terrible! C'est pas dans mes habitudes"
Il conclut la fois suivante:
"c'est tout à fait ça qu'il me fallait".
Nous reposons les règles, mille fois énoncées, dans ce nouveau contexte, corpus que nous ne quitterons pas avant qu'il n'y ait aune erreur de lecture ni de correction de l'erreur à trouver avec le rappel du travail que nous avons fait pour chacune des siennes et de celles de l'exercice: cela va
- du a+2 consonnes (avec l'exception seul mot qu'il évoque à la demande: apercevoir) apprendre, aller, asseoir (+ morphologie), le h en initiale, entre deux voyelles et sa fonction... de barrière.
- au passé (imparfait) escamoté (vérification sur le carnet de tableaux).
- aux questions à se poser pour les finales, mettre au féminin, mots plus longs de même racine (sens)...
et au travail de déplacement de groupes de mots à l'intérieur de la phrase.
Miloud est bloqué par sa méconnaissance de certaine expressions comme le bord du trottoir. Dans "sensonaime" il ne connaissait pas l'expression -économie de bouts de chandelles- comment retenir la phrase pour l'écrire!
Aussi, à la 3e reprise nous commençons à aborder le travail de mémorisation de la phrase.
Miloud m'avait demandé le mois précédent de lui expliquer pourquoi il n'arrivait pas à retrouver les mots pour écrire et j'avais repris le tableau de la mémoire, en repartant des entrées perceptives (oeil/oreille) et en insistant sur le mouvement, les 3 participant à la constitution d'une forme image et se renforçant les uns les autres puisqu'aucun ne marchait suffisemment bien pour lui permettre de tenir l'une de ces images à sa disposition pour soit associer une des autres (en représentation, donc mémorisée déjà) et avoir accès au sens qui devrait pouvoir s'y associer. Cette mémoire de travail est indispensable pour la compréhension de consignes et, bien sûr, pour pouvoir jouer avec les mots en opérant déplacements et substitutions qui ne deviennent possibles qu'avec l'autonomisation de ces unités formes. Une fois compris comment se forment ces représentations qui vont aller s'inscrire en mémoire à long terme où l'évocation va les faire resurgir, comment s'inscrit ce stock qui se renforce à chaque feed back... Reste la mémoire proprement dite donc. Pour un DL, la priorité est aux images qu'on pourait dire concrètes, car elles représentent les choses de l'expérience de la chose (dont elles donnent le sens).
Mais... il y a aussi et surtout, car il n'y aurait pas grand chose (cf. le langage restreint de Bernstein, le langage énonciatif), au delà de ces automatismes, le fonctionnement du cerveau et tout particulièrement le classement et je lui demande d'associer sur "robinet"... une série s'amorce et... nous en resterons là, car il faudra introduire les opérations logiques, qu'il va devoir découvrir par la pratique, notre programme.
Sa méconaissance de "aussi" dans le jeu de permutations que nous avons réalisé pour retrouver les erreurs dans les phrases m'a montré l'urgence de TOUT reprendre.
Les fiches logiques
J'appelle ainsi les premières pages du cahier cité ci-dessus, photocopiées pour être moins traumatisantes qu'un livre entier, 3 fiches qui présente les bases mêmes de tout raisonnement (intitulées: "Activités logiques").
- Chez le coiffeur: présence/absence sur l'image, opérateurs: au moins un/tous. Il note l'expression "non-assis" qui introduit la négation. Il me pose une question (amorce d'une reformulation) pour vérifier qu'il a compris... Il fait l'exercice (simpliste) seul, sans problème.
- Dans la salle à manger: relations spatiale à partir d'un point de vue à déterminer. Il ne commence pas à essayer de trouver en suivant l'ordre. Il me faut le lui faire relire et le raporter à la figuration dans le plan.
NB. Un des points que j'aime beaucoup dans ce cahier est la nécessité de faire correspondre le texte avec l'image qui représente le problème et peut aider à comprendre la situation et vice-versa selon le type d'approche privilégié par un DL particulier.
Ses remarques: "C'est un méga problème parce que je vais trop vite comme cela". Je confirme 'l'impulsivité, tout tout de suite' Je le rapproche de la progression que nous avons suivie sur les logiciels: syllabes, mots, phrases.
Nous terminons la séance sur
- Droite Gauche, est le premier exercice proposé:il repère ce qui le dérange "Aucun des deux ne doit avoir le même fruit.":
 "C'est énervant parce que ça me fait organiser autrement les choses".
Il ne reconnait pas le mot cerise pour le lire et amorce cé ou cre, je dois lui rappeler le travail sur ce mot dans sensonaime, cela l'aide à se souvenir.
"C'est ce qui me perturbe: tenir compte de deux phrases."
"le problème c'est la gymnastique que je fais".
En partant, il confirme le détail de ce qu'il doit travailler, présenté dans l'article précédent.
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PS à suivre dans un prochain article qui va nous orienter vers une autre base indispensable, propice à des révisions, l'écriture en lettres des nombres (liste dont il ne dispose qu'à l'oral).
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