Handicap et communication: dyslexique face au public

Publié le par Jaz

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Vous avez dit "audition"?

Passer une audition!!!!

 

Témoignage

Piégée dès le départ... dans/par notre relation.

Le contexte

Je connaissais la salle de spectacle mais n'avais jamais assisté à une "audition". Mon prof me fait passer en premier. Je ne peux donc savoir quels sont les rituels. Il y avait ces troènes dont je ne supporte pas l'odeur. Le public, pas vraiment d'importance, l'enjeu était surtout de réussir à "chanter" cette œuvre que j'avais enfin réussi à mémoriser, laisser passer les émotions que j'éprouvais à ressentir l'oeuvre, sortir de cet "apprendre" si douloureux pour tout coordonner sans rien oublier.

Je ne veux pas du pupitre dont elle explique le fonctionnement pour le public, - première audition impose -, l'aspect didactique, je le repousse, le déplace et ne me mets donc pas là où elle voulait. Elle va ensuite au piano et me donne la note de départ, la répète, me dit "quand tu veux", s'apprêtant à je ne sais quoi, jouer ma partie peut-être, mais j'attends l'introduction dont je ne peux me passer pour m'imprégner de l'harmonie, de la couleur, faire venir ces fameuses émotions...

Je lui demande alors, le début s’il te plait: deuxième transgression de ma part dans l'inversion des rôles.

L'expression

Cela va, tant bien que mal, comme d'habitude la première fois que je chante ce morceau, vais-je arriver à placer ma voix pour prendre la première note haute et autre dialogue intérieur, vas-y, peu importe, prendre la séquence d'en haut pour la première occurrence (mes compensations de mémoire du fait de ma DL). On arrive ainsi au passage "mélodique" à proprement parler que je pouvais chanter a cappella sans problèmes maintenant, à l'origine de notre accrochage avant qu'elle ne me propose cette audition, et comme si de rien n'était: elle double ma voix au lieu de s’en tenir à l'accompagnement !

L'explosion de l'émotion. Laquelle?

Je deviens folle, je sens la tension qui monte, je continue à chanter mais ça monte, ça monte, le piano tonitruant, couvrant ma voix et j'arrive au "fa" fatidique, tenu, qui devient "forte" et j'explose, entends ma voix à ce moment précis non plus de l’intérieur mais comme un objet étrange, étranger, flottant au loin, je la redescends piano pour la chute de la phrase mélodique, tout en allant vers le piano à queue, en y jetant la partition avec violence, comme de la rage, et grommelant pour justifier mon geste auprès du public qui réapparait dans mon champ de conscience, « c'est l’accompagnement », ne sachant où aller, partir, rester?

Le cadre rétablit le contrôle

Je réalise que mon prof, après le silence, a enchaîné et continue de jouer, je retourne chercher cette partition tout en repartant de mémoire pour la dernière page, et tremblant de toute cette violence encore là, les yeux accrochés aux notes, la feuille tremblotante, recroquevillée sur moi-même en quelque sorte, mais la voix relativement assurée, sans me soucier du public si ce n’est en pensant, "continuer quoi qu'il se passe", la loi d'un spectacle, j'arrive au bout et m'en vais sans avoir jamais regardé vers les spectateurs après l'épisode du pupitre.

L'analyse:

Le sentiment d'avoir été piégée, bien que pour "sortir", ma voix est "sortie"! même si je n'en ai guère..

Ce doit être venu de très loin, l'histoire de ma vie, ne pouvoir faire ce que j’ai à faire, donner ce que j'ai à donner, faute de moyens du fait de  mes difficultés d'apprendre, ça je connais, mais cette façon de ne pouvoir m'exprimer moi-même, à ma façon, prête à assumer un échec, parce que l'autre a décidé pour moi ce qui était le mieux. C'est aussi mon père lorsqu'il m'a poussée au lieu de me laisser plonger en coulant tête première, persuadé de m'avoir aidée. Lorsque j'en ai reparlé avec elle, au cours suivant, elle s'est défendue d'avoir été acteur du psycho-drame qui, de fait, s'était joué là. Nous avons continué à travailler.

Une choriste qui avait assisté à la scène, m'a dit, un mois plus tard, ce qu'elle avait pensé de ce « spectacle »: elle n'avait jamais vu l'équivalent bien sûr et trouvait idiot de se mettre dans un état pareil dans une telle situation. Elle avait eu sa première audition mais ne pouvait avoir saisi tous les enjeux de la mienne...

 

Publié dans Musique

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