D'entendre à s'entendre

Publié le par Jaz

SIGNAT-1-copie.jpg  S'entendre soi

  S'entendre avec les autres

  Ne plus chanter faux

 

Alicia s'est éclatée, elle a dansé, chanté à tue-tête avec les autres à une fête de famille... à l'image de ce kaléïdoscope qu'elle a composé pour illustrer cet article.

Lorsqu'elle me l'annonce, je cherche une chanson qu'elle connait et aimerait chanter. Est-ce à dire qu'elle ne chante plus faux? Nous choisissons "Que serai-je sans toi" de Jean Ferrat, un peu grave pour moi mais cela devrait aller pour elle.

Seule avec le modèle cela se révèle difficile, elle ne se rend pas vraiment compte.

Je reprends avec elle et nous arrivons à chanter parfois ensemble, mais elle continue à détonner: ne pas réussir à se replacer quand on change de note de base pour le couplet suivant (ce qui n'a rien d'étonnant car c'est une réelle difficulté pour bien des apprenants). Elle en perd  sa capacité à la retrouver même avec mon aide. Aussi je lui propose les consignes du jour:

  • "écouter" le modèle tel qu'elle peut l'entendre aujourd'hui, car ce n'est que par intermittence qu'elle se rend compte de l'inadéquation de ce qu'elle produit. Pour l'instant, elle se réfère à des automatismes acquis "avant" qu'elle ne s'entende.

Elle continue à ne pas chanter quand elle est seule, en faisant le ménage par exemple. D'où une deuxième consigne,

  • se faire plaisir en chantant en dehors de la présence des autres.

Quelle a été l'évolution de notre travail pour qu'elle réussisse à s'entendre elle-même?

 

Parcours d'Alicia pour s'entendre

Il y a eu le travail sur soi avec les collages, parcours qui a été longuement présenté, discuté, versant art-thérapie.

Il y a le parcours tâtonnant  versant orthophonie.

Pourquoi tâtonnant? Il ne s'agit pas d'appliquer une méthode, mais d'une auto-adaptation de la démarche pour entendre en percevant la hauteur. Chaque façon de réaliser un exercice appelle le suivant.

 

Les supports techniques.

- La voix du thérapeute qui n'est pas seulement là pour soutenir, encadrer, proposer un modèle à imiter mais qui adapte ce modèle lorsqu'il implique d'autres supports.

- Cela s'est révélé nécessaire

--avec le synthé,

--tout comme avec les instruments de travail de la hauteur sur "audiolog"

--et pour le spectre en temps réel de "Vocalab" (avec des sirènes que nous comparions), la visualisation de sa production l'aide beaucoup

--puis tout récemment, la hauteur tonale qu'elle a découvert en explorant ce qui pouvait l'aider dans ce support.

 

Détail du chemin suivi, versant orthophonie....

-Voix et synthé.

Dès octobre, avant même l'audiogramme, nous avions essayé de partir de ce qu'elle était capable de réaliser d'elle-même, avec contrôle de la hauteur sur le synthé pour essayer de répéter la note qu'elle venait de produire.

Du fa2 nous sommes passées au la mais elle avait tendance à monter quand elle essayait de recommencer. Nous y sommes revenues en essayant d'assurer le passage si/do3 qui semblait être devenu une note de départ pour elle. Ce "glissage" permettait de travailler une certaine stabilité de la voix lorsqu'elle se lançait  seule à essayer de retrouver une note (jeu sur les frontières). C'était également préparer les sirènes que nous avons utilisées très vite, dès que nous sommes passées à Vocalab.

- Audiolog

Parallèlement nous avons travaillé les différenciatios perceptives sur audiolog, à partir des bruits.

-identification par leur différenciation: pareil/différent par deux

-en memory, pour le fixer en mémoire avec de plus en plus d'items...

La consigne portant sur un bruit de pas, elle a eu beaucoup de mal à la comprendre. Il lui fallait en outre apprendre à identifier les bruits qu'elle n'entendait pas avant d'être appareillée, s'habituer à n'entendre que les bruits pertinents ..

Ce qui nous a amenées à poursuivre ce travail associant son/image sur plusieurs séances. Là où je pensais affiner, il a fallu réapprendre.

En lien avec nos essais sur le synthé, nous avons introduit le travail  sur la perception de la hauteur des sons avec leur identification/reproduction à différents intervalles: l'octave, la quinte, la tierce...

Nous sommes passés ensuite à l'identification de haut/bas dans des séries, travail qui fixe le son dans un contexte séquentiel et non plus isolé et favorise la mise en jeu de la mémoire de travail..

- Lecture de notes.

En octobre, j'ai suivi la piste d'un renforcement visuel pour percevoir la hauteur des notes en passant par leur lecture...

Du modèle de clés de sol, nous sommes passées au repérage des notes sur les lignes, avec leur nom sur le principe d'un travail sur une liste (voir sur le site les deux articles sur l'apprentissage de l'accès impossible à la lecture de notes et suite). Lorsqu'elle a pensé les connaître, nous sommes tout de suite passées à la dictée de notes pour construire des séries qui ne reposent pas sur la régularité puisqu'elle ne réussit pas à les mémoriser dans l'absolu de leur "valeur". Il nous faut introduire la main (voir le commentaire de l'article "langage"), car dès qu'elle se trompe une fois, tout se dérègle. Son mari lui a bien fait faire des listes pour qu'elle s'entraîne, mais sans tenir compte de ma demande d'éviter les notes intermédiaires (entre les lignes, au milieu de la portée) la fa do qu'elle ne peut distinguer encore. Elle a eu le plus grand mal à ne plus inclure leur nom dans un énoncé, "c'est le" ou avec "l'article", en restant au nom de la note, tout comme les dyslexiques que je qualifie de "graves" comme Miloud, en restent à l'énoncé du nom de la lettre au lieu de repérer le son qu'elles représentent.

Comme Jean-Michel, elle a certaines connaissances (voir "arriver à lire le nom des notes") mais se laisse piéger par ces connaissances qui n'ont pas permis l'apprentissage. Cette piste a ouvert une concordance visuelle avec la représentation de la hauteur qu'elle ne perçoit toujours pas dans notre travail sur entendre. Ne dit-elle pas elle-même dans une sorte de flash "La révélation de la lecture de notes: j'ai compris le sens!"? Tout comme Miloud (non lecteur) ne voyait pas le "mot" "sol" mais le chantait (voir le lien ci-dessus de "suite"). Une entrée de plus mais non concluante, éclipsée par le travail sur "soi" qui s'est mis en place à partir de lectures et de la réalisation de collages et nous mobilise le temps de nos rencontres.

 

Petit retour en arrière sur "entendre"

Dès septembre nous avions abordé la question de la lecture des notes, initiation du côté visuel plus rassurante qui nous a permis de poser la double clef, celle qui donne l'ouverture à l'imaginaire tout en utilisant un symbole, base d'un système... Pour faciliter ce "lâcher-prise", au moment où elle a du affronter la réalité de sa surdité, nous étions passées par le "gribouillis", qu'elle a essayé chez elle ensuite avec des pastels, prémisse des collages, initiés par une amie. Cette approche lui a permis de s'explorer au moment où elle devait s'accepter "sourde", et accepter l'intrusion du monde sonore qu'entraînait l'intrusion dans ses oreilles de l'appareil auditif.

Les conflits avec l'entourage pouvaient être rapportés en partie à son mal-entendre (son mari ne s'était-il pas qualifié de "mal-entendu"!) et il s'agissait ainsi de  "déconstruire" certains automatismes pour repartir sur d'autres bases, tout comme les restes auditifs qui lui permettaient d'entendre quelques bribes jusqu'alors devaient, grâce à la prothèse, lui permettre d'inscrire ces bribes dans d'autres schèmes pour l'amener à entendre autrement ...

Publié dans Handicap

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