Ecrire pour un non-lecteur
Du non-lecteur au non-scripteur:
hypothèses sur le trouble de l'apprentissage: connecter le lire à l'écrire
Il y avait eu Ecrire, c'est quoi pour toi?
Dans l'analyse du fonctionnement des non-lecteurs, nous avions repéré la nécessité d'une période d'éveil, Miloud a franchi cette étape récemment avec le parcours de Des mots pour dire, mais... a tout oublié de l'alphabet sauf le début, il ne peut s'arrêter sur les consonnes, doit reprendre du début etc... A 14 ans, il me l'avait récité. J'en avais déduit qu'il n'était peut-être pas "non-lecteur" comme ceux de la recherche.
Mon hypothèse de travail d'alors était d'amener ces adolescents à se structurer, par l'intégration de la structure de la langue "écrite", approche d'une linguistique fonctionnelle donc.
Il avait appris à lire avec les tableaux des lettres pour faire les sons. A une Xème reprise du travail, il se montre encore plus incapable que son frère Youcef de reconstituer celui des voyelles en organisant les cartons qu'il a réclamés plutôt que d'avoir à écrire.
[Il n'a donc rien intégré du système phonologique de la langue, en tant qu'éléments définis par leur place dans un système d'oppositions, structure sous-jacente permettant un repérage tout comme la lecture du ciel étoilé devient possible avec celle de la carte du ciel, symbolisme figuratif certes, mais organisation perceptive par la représentation des signes du zodiaque etc.
Il n'utilise donc pas davantage le repérage spatial que permet d'habitude leur figuration en "tableaux" des lettres pourfaire les sons, dans l'opposition voyelles, consonnes.]
Et portant il arrive en se demandant comment écrire "ien" sans pouvoir se le rappeler. C'est pourquoi je décide de repartir de l'alphabet présenté comme dans l'illustration ci-dessus.
[Il y a le symbolisme des couleurs (opposition voyelles, consonnes, comme sur les cartons), qui crée une liste verticale, celles des voyelles écrites, départ de chaque ligne, la longueur des lignes, leur chanson quand on les récite etc... La segmentation de la liste totale permet de travailler plus particulièrement un fragment qui ne coule pas de source. Le repérage du h comme lettre transparente qui laisse apercevoir la voyelle qui la suit...]
L'étape suivante de l'apprentissage consiste à les retrouver à partir d'une feuille où des points les représentent qu'il a réalisés lui-même avec un effet de semi transparence...
... pour servir de support au jeu décrit pour Jimminy: chacun notre tour nous proposons deux mots que l'autre doit redire dans l'ordre de l'alphabet en montrant la place de la lettre initiale sur la feuille des points. Cela permet de passer de la perception du son à la lettre qui permet de le figurer à l'écrit.
Et... plus de contact depuis une semaine, j'avais du annuler un rendez-vous deux jours après, un autre était prévu le lendemain. Rien... travaille-t-il, est-ce une tante qu'il aide parfois qui le réquisitionne? ou tout simplement sa copine ou je ne sais quoi. Il me semblait très motivé!
à suivre donc.....
Discussion
Miloud a besoin d'entendre ce qu'il écrit, il est entré dans une dialogue intérieur mais a presque tout oublié de son apprentissage de la correspondance phonographique, quelques syllabes parviennent à se reconstruire quand il essaie d'écrire, il peine pour les mots.
La discussion va donc porter sur son rapport à écrire, lorsqu'il s'agit de "raconter".
Il a déjà beaucoup de mal pour me raconter ce qui vient de lui arriver comme cela s'était passé à son retour du "pays" (le Mali), après l'enterrement du grand-père qui l'avait élevé. J'avais du passer par l'image, en lui faisant réaliser les tableaux d'une BD, pour lui permettre d'ordonner et de sélectionner le "à dire", support pour une activité de description d'image qui lui avait permis de se lancer pour le raconter puis pour l'écrire ensuite (voir le détail sur le site dans un article à paraître).
Raconter en plusieurs temps. J'avais posé un avion orienté pour figurer le départ et l'arrivée, afin de "borner" le cadre spatio-temporel, il n'avait plus que 4 "moments" à dessiner.
Il semble les avoir choisis en fonction des émotions ressenties, l'essentiel pour lui. Sa logique, il s'agissait bien de "son" voyage, ce qu'il confirmera lorsqu'il réussira à écrire en reprenant les images comme support.
On retrouve dans cette approche les difficultés de sélection, la nécessité d'un support figuratif de type narratif, et le passage par plusieurs types de mémoire,
... et toujours ce besoin de "comprendre" pourquoi il n'y arrive pas.
Nous voilà repartis dans les explications du fonctionnement cérébral, les deux hémisphères (le symbolisme de l'un (HG), la créativité artistique de l'autre (HD)), leur connexion, le niveau sous-cortical qui compense parfois, et les deux entrées auditives et visuelles qu'il n'arrive pas à connecter, ... lorsqu'il revient enfin avec sa feuille de l'alphabet car il me dit "je n'arrive toujours pas...
...avec le e et le é".
- Retour aux lettres pour faire les sons,
- leur différence avec les lettres de l'alphabet qui les nomment
et de lui-même il interroge sur le "problème" (de leur valeur):
- le "c", nous généraliserons au "g",
- le u qui renforce, le e qui fait glisser...
En nous référant au carnet où tout est inscrit et semble enfin prendre "sens".
C'était la première fois qu'il le demandait de lui-même, de cette façon, ciblant le lieu de ses difficultés, comme s'il n'avait rien "entendu" jusque là... faute d'un "contexte" théorique où les explications prenaient sens.
Il devenait ainsi acteur de sa démarche de rééducation.
Rappel. Et pourtant (9 ans pour arriver à cette "demande"), nous avions repris à chaque fois la démarche, mais il lui avait fallu passer par "les mots pour dire", cette fameuse période d'éveil qui, dans mon expérience, se révèle nécessaire aux non-lecteurs. La boucle serait-elle bouclée cette fois-ci?