Surdité, communication et "Langage" 2
Cependant, la communication peut s’effectuer ailleurs qu’en langue, en particulier au tout début du langage : il y a le registre des émotions, la mise en place d’une gestualité d’abord expressive avant d’être indicative, puis représentative. Très vite, en discours, on observe les modes d’organisation, présyntaxiques en quelque sorte, de l’énoncé où prévaut le sémantique, transmettre « un sens », et la référence déictique, dans l’anhistoricité de la situation."
Avant Propos
Emmy, sourde profonde, non appareillée, a vécu en milieu entendant et n'a connu la LSF qu'au collège. Cela a été une révélation, une liberté. Oralisée, donc, son orthophoniste était borélienne, avec, ainsi, une approche fonctionnaliste (structurelle) de la langue.
Pour me demander de l'aide, Emmy m'a adressé une lettre de présentation telle que je n'ai pas hésité à la rencontrer. J'en ai rapporté l'essentiel dans l'article 1 sur l'autre blog et l'image en tête d'article est celle du tableau où j'inscrivais les mots clés de notre discussion, au fur et à mesure de ce que je souhaitais poser de connaissances à partager pour l'aider à avancer dans son projet universitaire.
Les notions abordées au cours du dialogue
1) LANGAGE
Je fais l'hypothèse qu'elle assimile le langage à la langue, que ce soit la LSF ou ce qu'elle connait le mieux, sa lettre en témoigne, la langue écrite. Si mon point de départ habituel est de différencier l'expression orale de l'écrit, je lui pose d'emblée (avec la flèche) qu'on va s'intéresser à
2) L'ORAL
et je signale l'opposition en 2 bis) avec l'ÉCRIT
et privilégier, en référence à la LSL
3) LA GESTUALITÉ
Elle n'entend pas mais elle connait certaines caractéristiques de ce type de communication orale. Il n'y a pas que les mots qu'on prononce mais la façon dont on les prononce en fonction de la façon dont nous voulons agir sur l'autre par notre parole.
Quels indices peut-elle repérer dans notre dialogue même ?
Nous parlons des ACCENTS pour insister lorsque nous voulons donner de l'IMPORTANCE, ce qui se marque habituellement dans la VOIX au niveau de l'INTONATION. Qui peut se lire également sur notre visage, donc
4) LA MIMIQUE
Nous en repérons quelques unes ensembles (elle les connait), elles se marquent dans l'expression du visage et sont à différencier de
5) Le MIME
une sorte de figuration, mise en geste de ce qu'exprime la parole. Principalement dans le domaine de l'action. Nous en discutons et très excitée d'être dans son domaine, elle me rappelle ce qui est central dans LSF
6) LE POINTAGE
Je ne peux qu'être d'accord. D'autant qu'il intervient également dans l'oral, accompagnant souvent dans ce qui relève de l'énonciation la désignation (cf. là) par exemple. En LSF ce sera l'outil d'expression majeur pour situer le cadre (lieu et temps), le sujet, le plan du discours etc...
Pour restructurer nos échanges sur ces sujets, j'éprouve le besoin de situer tout cela en tant que
7) MOUVEMENTS DU CORPS
en le soulignant comme une sorte de titre, et je place au dessus d'intonation déjà entre parenthèses Voix que je souligne également.
Je reviens au mime en différenciant ce qui est apparu dans la discussion.
8) Le mime peut REMPLACER
quand on ne peut faire autrement (langue étrangère) ou LSF justement.
9) Le mime peut ACCOMPAGNER
en particulier pour renforcer une parole qui se cherche : je pense à Yann qui s'assure ainsi de notre compréhension, conscient de ses difficultés d'expression.
Le tableau final
Un tableau prend corps. Je lui donne son titre COMMUNICATION NON VERBALE
DIALOGUE : SITUATION ET RÉFÉRENCE
Puis nous discutons. Je veux lui donner la clé des pronoms (question implicite de sa lettre) et de tout ce qui en découle en posant dans un espace libre en bas sur le tableaux le triangle énonciatif de l'échange dialogique : JE parle à TU de IL qui n'est pas là, présent (pointillé). Il est la personne, l'objet dont on parle. Avec la réversibilité le tu qui devient je quand il prend à son tour la parole. Je lui explique que pour le faire comprendre aux enfants, on sort les personnages des play mobiles et on le met en scène... Ses yeux se sont illuminés, non plus un "savoir" mais enfin la "compréhension", semble-t-il.
Nous nous embarquons alors dans une longue discussion car elle veut m'expliquer ce qui, pour elle, est essentiel en LSF, en dehors du pointage, sur un autre plan, c'est
L'IMAGE
Je suis entièrement d'accord avec elle puisque non seulement on est dans le domaine visuel, mais il s'agit d'un mode de pensée par images comme pour les Dyslexiques et autres dys, d'où les difficultés de compréhension des concepts .... Je vais même plus loin car j'introduis la métaphore après avoir convenu avec elle de l'importance de l'analogie, qui amène à comparer en + ou moins etc... Nous y reviendrons sûrement car cela faisait partie de son questionnement.
Je ne lui en ai pas parlé mais je me souviens du récit des 3 petits cochons de Laure qui a fini par m'expliquer comment le "trou noir" pour se souvenir s'était comblé :
"en fait je me rappelais pas, je le voyais courir, sur la fenêtre, comme à la télé."
Je n'insisterai pas plus à cette première rencontre mais j'ai posé le mot clé SITUATION et lui ai photographié le tableau des contextes de l'interprétation. Autre notion qui me semble essentielle pour elle.
.... Si je prends en compte les données de Cosnier (1980) ce tableau peut être complété : "les auxiliaires gestuels, mimiques" du contexte explicite participent à la constitution d’un
ÉNONCÉ "TOTAL" du "CORPS COMMUNIQUANT"
en articulant le corps dans sa double fonction :
— corps énoncé : contribution sémantique, cf. mimo-gestualité, gestualité codée
— corps et énonciation : synchronisation interactionnelle."
(Fin de l'article référencé ci-dessous)
L'interaction dans un dialogue s'étaie sur un ensemble de contextes et l'analyse des enchaînements se doit d'en tenir compte. La situation les implique car le sujet parlant ou non, quand il est face à quelqu'un ne peut s'empêcher de communiquer.