Le calcul qui fait pleurer Laureen
calcul où situer le problème ?
Avant-propos
Nouvelle venue dans ce blog, Laureen, la fille d'une collègue amie de ma fille, est en perdition. 8 ans, CE2, la classe critique qui révèle ceux qui ont fait illusion jusque là, lente disait-on, mais le pourquoi n'était jamais posé par qui que ce soit... Et pourtant elle est prise en soutien par sa maîtresse qu'elle adore et ses parents sont d'une patience à toute épreuve pour lui faire "apprendre". Plus de 2h 1/2 hier soir et les pleurs d'une enfant désespérée... Ce petit bout tout fragile, se noie dans ses larmes pour le travail à la maison et, s'acharnant, y parvient. Rendez-vous a depuis longtemps été pris chez une orthophoniste pour... quand il y aura de la place. Et cela dure, d'où mon intervention pour un "avis". Ils habitent très loin et sont sans voiture : métro, RER, que de fatigue et de temps pour venir, la mère est vaillante et l'enfant veut bien essayer. On lui a annoncé une vieille dame qui a plein de jeux.
Et bien sûr je vais me laisser séduire par ses grands yeux d'enfant sage qui m'écoute avec attention.
Première rencontre
- Pour évaluer la demande nous nous lançons dans un "mot éclaté" sur ce qui lui pose problème qu'elle formule "calcul".
Je donne une feuille à sa mère qui se rapproche à ma demande car elle lui laissait le champ libre à une distance raisonnable, avec même le poteau entre elles en quelque sorte. Laureen se met tout à côté de moi pour que nous fassions éclater le mot ensemble me déléguant d'écrire ce qu'elle prononce en réponse à ma question : " à quoi tu penses ? sans réfléchir ! J'écris "souci" entre parenthèses pour lui montrer le mode d'emploi. J'ajoute des traits pour qu'elle puisse exprimer d'autres composantes pour elle du calcul. Ce n'est que dans un 2e temps que nous chercherons ensemble (elle est très lente pour répondre, il faut la relancer) à l'évaluer en "+" et "-". Elle aime les +, écrire en lettres, les petits nombres et les décomposer. Elle précise pour les moins "en bouche de crocodile". (Image en tête d'article)
Pendant ce temps sa mère précise sa propre perception : nombre, difficile, nécessaire, réflexion, mathématique, division. Elle envoie ainsi un message plus qu'abstrait à sa fille.
Deux univers aux antipodes comme c'est le cas avec pratiquement toutes les mamans, ce dont elle a conscience, et la mère sera bientôt dans une demande de guidance parentale pour elle dès la 3e rencontre.
Je demande alors à Laureen de compter jusqu'à 20, puis de l'écrire en 2 colonnes (en la guidant car elle n'est pas à l'aise avec les consignes verbales), et dans une 3e jusqu'à 30 en lui faisant remarquer que l'on recommence toujours pareil. C'est extrêmement laborieux.
Dans l'optique d'une prise en charge classique, j'aurais commencé par une anamnèse, laissé du temps à l'enfant, le temps de s'exprimer dans un dessin par exemple, parlé de sa famille, éventuellement reconstitué sa généalogie pour qu'elle se situe et favoriser ainsi la prise de conscience d'elle-même, bref réalisé un bilan classique même si les miens privilégient l'observation de l'enfant dans différentes situations au fait de viser à obtenir le fatidique - 2 sigmas des "tests" qui autorisent diagnostic et prise en charge pour la sécu. Je me retrouve dans une situation où je dois brûler les étapes pour donner mon point de vue : Laureen peut-elle attendre quelques mois qu'une place se libère ? Répondre à l'urgence, quitte à revenir à des bases plus conformes à ma démarche où l'enfant dans son fonctionnement global est au cœur de mon questionnement.
Le boulier
Je vais donc chercher le boulier dans une autre pièce.
Pour les raisons évoquées ci-dessus je ne peux lui laisser le temps de découvrir son fonctionnement. Je lui montre comment le manipuler pour qu'il devienne un outil de réassurance quand sa mère lui en aura trouvé un, en comprenant ce qu'il lui ouvre comme possibilités en l'aidant à pratiquer ce que j'appelle "la gymnastique du cerveau". Après cette brève initiation nous passons directement
- au 2 en 2 endroit et envers jusqu'à 10, poussons à l'endroit jusqu'à 20 car à l'envers c'est encore trop difficile (ensuite ce sera de 5 en 5, puis de 3 en 3)
- suivi de "qu'est-ce qu'il y a sous ma main" annonçant la soustraction au niveau perceptif mais elle ne peut percevoir globalement quoi que ce soit et passe systématiquement par le comptage des unités.
Laureen aura donc besoin de beaucoup s'y entraîner. Mais avant de partir, nous allons jouer sur l'ordinateur et nous nous rendons dans la pièce où se trouve le CD de playmath sur un très vieux PC/XP qui se met sans cesse en veille et que je garde pour ce type de jeux très ancien qui ne peut s'ouvrir ailleurs. Yann en est très friand. Ce jeu date de l'an 2000 trouvé au colloque international du Constructivisme piagétien et son auteur n'est plus joignable.
Les choix de jeux de Laureen me seront une indication. Je passe sur le premier qui est un banal memory que je ne lui propose même pas, mais elle est enthousiaste dès la présentation du second jeu d'identification des nombres de base qui n'a rien de facile pour elle : il s'agit de faire correspondre le nombre de dessins du bas dans divers regroupements, avec des colonnes où figurent des gros points alignés verticalement jusqu'à 6. Cliquer sur la bonne colonne.
Ce jeu répond parfaitement à mon premier objectif, qu'elle se construise des stratégies de regroupement perceptif (elle les compte un par un au début, comme sur le boulier) pour intérioriser le nombre en tant que quantité. En cas d'erreur une barre noire recouvre les points et se projette dans l'image de droite où apparaît peu à peu un splendide papillon avec la sanction d'une barre noire qui l'occulte en partie. Récompense en image qui séduit les enfants.
Playmath : premières stratégies de regroupement perceptif
Elle est passionnée par le jeu, je la guide au début. Lui montre même comment je m'y prends. Le temps passe très vite lorsque je la laisse seule un moment. Elle se trompe de temps en temps mais recommence volontiers 2 ou 3 fois. Elle reprendra ce jeu la fois suivante jusqu'à le maîtriser tout à fait.
Pour changer de style et évaluer sa compréhension de consignes un peu complexes, je lui propose le jeu des éléphants. Leur déplacement se fait par retournement sur le bord de la case, soit latéralement soit verticalement. L'objectif est de trouver celui qui se superpose à ceux qui sont dans chaque coin. Le premier niveau maintient la visualisation ce qui permet la comparaison directe. Au 2e il faut s'être construit des représentations.
Les éléphants trouvent leur place en se superposant
En guise de bilan
Cette première rencontre ne sera pas la seule. Je vais bien sûr essayer de l'aider. D'autant plus que la mère m'a signalé qu'elle se trompait avec certains sons ! ! !
Elle est effectivement d'une excessive lenteur et a du mal avec les consignes. Elle est également d'une désespérante lenteur quand elle écrit. Est-ce en lien avec l'idéation ou le contrôle de la motricité fine ? Elle fait de la danse par ailleurs, ce ne devrait pas être de la coordination.
J'envisage d'emblée des problèmes de perception, d'évocation et de mémoire de travail. Les fonctions exécutives ?
La mère semble à une bonne distance, mais travaille et c'est surtout le père qui la suit en rentrant de l'école car il est à la maison. Peu de chances qu'il vienne l'accompagner du fait du petit frère d'un an plus jeune : trop loin, trop long.
Je suggère une visite chez l'ORL (elle a souvent des bouchons) pour un audiogramme de contrôle. En jetant un coup d'œil à son classeur (faute de temps pour l'éplucher davantage), je remarque non seulement quelques fautes d'orthographe mais également que sa maîtresse reprend les éléments de base du temps. Il s'agira de vérifier sa compréhension de ces termes et j'ai des dossiers spéciaux pour le reprendre avec elle, à son niveau et à son rythme.
Je n'ai pas cherché à la séduire mais au cours des 2 heures de notre rencontre, j'ai cherché à la rassurer
- par la mise en mots ce que je pensais avoir compris de ses difficultés avec les consignes,
ce qui se traduit par
- ne pas comprendre ce qu'on attend d'elle.
Que je pouvais lui apporter de découvrir comment faire pour apprendre autrement, pour modifier sa démarche actuelle.
à suivre pour la 2e séance sur jazblogtest